
Il est important de savoir que la prière de Jésus est le fruit de toute une recherche et d’une longue expérience spirituelle, et de comprendre comment elle s’est élaborée au cours des siècles. Elle est loin d’être une dévotion privée ; au contraire elle fait partie de la tradition de 1’Eglise. Je vais essayer de vous retracer les grandes lignes de cet historique :
1°) La prière de Jésus est née entre le 3ème et le 5ème siècle, chez les moines du désert du Proche Orient, de Palestine, de Haute Égypte, du Sinaï. Et pour bien comprendre comment la prière de Jésus s’est élaborée, il faut savoir quelles étaient les aspirations profondes de ces premiers moines ; et pour cela, nous allons étudier les deux traits principaux de leur spiritualité.
a) aspiration à la contemplation : un très grand désir d’être un à Dieu, de "garder" le perpétuel souvenir de Dieu ", comme ils disent.
Notons en passant qu’il ne faut pas se représenter ces moines comme de grands érudits ; c’étaient, pour la plupart, de très pauvres "fellahs", des paysans de l’humble caste rurale, des gens sans culture, d’un milieu très simple.
Ce sont des chercheurs de Dieu, qui ont une très grande soif d’absolu. Des êtres passionnément attachés au Christ. Leur profond désir d’être uni à Dieu leur fait prendre conscience de tous les obstacles qui sont en eux, d’où :
b) très grande conscience d’être pécheur : Ils mènent donc une vie ascétique pour lutter contre le péché. Et ils pensent que cette lutte contre le péché doit non seulement porter sur les actes, mais aussi sur les pensées.
Ils veulent donc chasser toute pensée étrangère au souvenir de Dieu. Et ils vont même plus loin : ils pensent que le mal ne se situe pas seulement au niveau de l’acte, pas seulement au niveau de la pensée, mais à un niveau beaucoup plus profond.
Le mal a en nous des racines plus ou moins inconscientes, le mal plonge très profondément en nous.
Donc ces moines ont conscience non seulement de faire des actes mauvais, non seulement d’avoir des pensées qui les détournent de Dieu, mais encore « d’être des pécheurs » Ils disent :
"s’abstenir du mal ne suffit pas, il faut mettre à mort le serpent qui niche au-dessous même de l’esprit, plus profond que les pensées, dans les entrepôts de l’âme".
Les "entrepôts de l‘âme" ! c’est vraiment à un niveau dont nous n’avons pas conscience, donc où nous ne pouvons pas agir par nous-mêmes. A la rigueur, nous pouvons lutter contre nos actes mauvais, mais il nous est impossible de guérir cette zone profonde. C’est pourquoi ces moines ont recours au Christ, afin qu’Il vienne purifier les profondeurs de notre être.
Tout ce que nous pouvons faire, c’est de nous "réfugier" dans le Nom de JESUS. Voici donc le portrait de ces premiers moines : chercheurs de Dieu, et conscients d’être profondément pécheurs.
2) A partir du Vème siècle surtout, va se développer un courant de spiritualité, appelé HESYCHASME, courant auquel vont se rattacher les premiers moines du désert. HESYCHASME (épeler) vient d’un mot grec qui signifie "calme" "repos", immobilité, tranquillité. Calme aussi bien extérieur qu’intérieur.
L’hésychasme extérieur va impliquer un mode d’existence isolement, fuite du monde. L’hesychasme intérieur, c’est un état d’âme fait de quiétude, de paix, de détachement, de non-souci du lendemain, qui repose sur une grande confiance en Dieu.
Donc ces premiers moines du désert, conscients d’être profondément pécheurs, aspiraient à être unis à Dieu, à garder le "perpétuel souvenir de Dieu".
Pour cela, il leur fallait être en silence, aussi bien extérieur – d’où leur genre de vie : ermite qu’intérieur- pour arriver à ce silence intérieur, ils repoussaient toute pensée étrangère au souvenir de Dieu : c’était ce qu’on appelait la "garde du cœur". Pour obtenir ce silence intérieur et pour garder le "perpétuel souvenir de Dieu", ils employaient plusieurs moyens :
Répéter intérieurement ou à mi-voix un verset de la Bible, le "ruminer", le "mâcher".
S’adresser à Dieu, dans la journée par des prières courtes mais fréquentes, des phrases lancées vers Dieu, comme des bouées auxquelles on se raccroche :
"Seigneur, aie pitié",
"Fils de Dieu, au secours",
phrases qui expriment bien la conscience qu’ils ont d’être profondément pécheurs, et d’attendre tout de Dieu.
Et, peu à peu, ces phrases d’appel au secours vont s’adresser à Jésus :
"Fils de Dieu, viens à mon aide",
"Seigneur Jésus, aie pitié de moi",
car ils ont une grande foi en la puissance du Nom de Jésus.
Écoutez ce qu’ils disent :
"quand tu es assiégé par une passion quelconque, tu ne peux rien faire de plus utile que d’invoquer le Nom de Dieu. Tout ce que nous pouvons faire, faibles comme nous sommes, c’est de nous réfugier dans le Nom de Jésus".
"Le nom de Jésus apaise les âmes troublées, réduit les démons, guérit les maladies. Son usage infuse une douceur merveilleuse" (Origène, 3ème siècle).
Père HENRI CAFFAREL