L'oraison, prière intérieure

Livre troisième 1ère partie - De la vie intérieure

L'Imitation de JC - Livre troisième, 1ère partie - Instruction pour avancer dans la vie intérieure

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Livre troisième - De la vie intérieure

Livre troisième - De la vie intérieure

1. Des entretiens intérieurs de Jésus-Christ avec l'âme fidèle

 

1.J'écouterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi.

Heureuse l'âme qui entend le Seigneur lui parler intérieurement, et qui reçoit de sa bouche la parole de consolation !

Heureuses les oreilles toujours attentives à recueillir ce souffle divin, et sourdes au bruit du monde !

Heureuses, encore une fois, les oreilles qui écoutent non la voix qui retentit au-dehors, mais la vérité qui enseigne au-dedans !

Heureux les yeux qui, fermés aux choses extérieures, ne contemplent que les intérieures !

Heureux ceux qui pénètrent les mystères que le coeur recèle, et qui, par des exercices de chaque jour, tâchent de se préparer de plus en plus à comprendre les secrets du Ciel !

Heureux ceux dont la joie est de s'occuper de Dieu et qui se dégagent de tous les embarras du siècle !

Considère ces choses, ô mon âme, et ferme la porte de tes sens, afin que tu puisses entendre ce que le Seigneur ton Dieu dit en toi.

 

2.Voici ce que dit ton bien-aimé : Je suis votre salut, votre paix et votre vie.

Demeurez près de moi et vous trouverez la paix. Laissez là tout ce qui passe ; ne cherchez que ce qui est éternel.

Que sont toutes les choses du temps, que des séductions vaines ? Et de quoi vous serviront toutes les créatures si vous êtes abandonné du Créateur ?

Renoncez donc à tout et occupez-vous de plaire à votre Créateur et de lui être fidèle, afin de parvenir à la vraie béatitude.

 

2. La vérité parle au dedans de nous sans aucun bruit de paroles

 

1.Parlez Seigneur, parce que votre serviteur écoute.

Je suis votre serviteur : donnez-moi l'intelligence, afin que je sache vos témoignages.

Inclinez mon coeur aux paroles de votre bouche : qu'elles tombent sur moi comme une douce rosée.

Les enfants d'Israël disaient autrefois à Moïse :

Parlez-nous et nous vous écouterons ; mais que le Seigneur ne nous parle point, de peur que nous ne mourions.

Ce n'est pas là, Seigneur, ce n'est pas là ma prière : mais au contraire, je vous implore comme le prophète Samuel, avec un humble désir, disant :
Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute.

Que Moïse ne me parle point, ni aucun des prophètes, mais vous plutôt, parlez, Seigneur mon Dieu, vous la lumière de tous les prophètes et l'esprit qui les inspirait.

Sans eux, vous pouvez seul pénétrer toute mon âme de votre vérité ; et sans vous ils ne pourraient rien.

 

2.Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre efficaces.

Leur langage est sublime ; mais si vous vous taisez, il n'échauffe point le coeur.

Ils exposent la lettre, mais vous en découvrez le sens.

Ils proposent les mystères, mais vous rompez le sceau qui en dérobait l'intelligence.

Ils publient vos commandements, mais vous aidez à les accomplir.

Ils montrent la voie, mais vous donnez des forces pour marcher.

Ils n'agissent qu'au-dehors, mais vous éclairez et instruisez les coeurs.

Ils arrosent extérieurement, mais vous donnez la fécondité.

Leurs paroles frappent l'oreille, mais vous ouvrez l'intelligence.

 

3.Que Moïse donc ne me parle point; mais vous, Seigneur, mon Dieu, éternelle vérité !

parlez-moi, de peur que je ne meure, et que je n'écoute sans fruit, si, averti seulement au-dehors, je ne suis point intérieurement embrasé; de peur que je ne trouve ma condamnation dans votre parole, entendue sans être accomplie, connue sans être aimée, crue sans être observée.

Parlez-moi donc, Seigneur, parce que votre serviteur écoute, vous avez les paroles de la vie éternelle.

Parlez-moi pour consoler un peu mon âme, pour m'apprendre à réformer ma vie,

parlez-moi pour la louange, la gloire, l'honneur éternel de votre nom.

 

3. Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité, et que plusieurs ne la reçoivent pas comme ils le devraient

 

1.Jésus-Christ : Mon fils, écoutez mes paroles, paroles pleines de douceur, et qui surpassent toute la science des philosophes et des sages du monde.

Mes paroles sont esprit et vie, et l'on n'en doit pas juger par le sens humain.

Il ne faut pas en tirer une vaine complaisance, mais les écouter en silence et les recevoir avec une humilité profonde et un ardent amour.

 

2.Le fidèle : Et j'ai dit: Heureux celui que vous instruisez, Seigneur, et à qui vous enseignez votre loi, afin de lui adoucir les jours mauvais, et de ne pas le laisser sans consolation sur la terre.

 

3.Jésus-Christ : C'est moi qui ai, dès le commencement, instruit les prophètes, dit le Seigneur, et jusqu'à présent même je ne cesse point de parler à tous; mais plusieurs sont endurcis et sourds à ma voix.

Le plus grand nombre écoute le monde de préférence à Dieu; ils aiment mieux suivre les désirs de la chair que d'obéir à la volonté divine.

Le monde promet peu de chose et des choses qui passent, et on le sert avec une grande ardeur; je promets des biens immenses, éternels, et le coeur des hommes reste froid.

Qui me sert et m'obéit en toute chose, avec autant de soin qu'on sert le monde et les maîtres du monde ?

Rougis, Sidon, dit la mer, et si tu en demandes la cause, écoute, voici pourquoi :

Pour un petit avantage, on entreprend une longue route; et pour la vie éternelle, à peine en trouve-t'on qui veuillent faire un pas.

On recherche le plus vil gain : on plaide honteusement quelquefois pour une pièce de monnaie ; sur une légère promesse et pour une chose de rien, on ne craint pas de se fatiguer le jour et la nuit.

 

4.Mais, ô honte ! pour un bien immuable, pour une récompense infinie, pour un bonheur suprême et une gloire sans fin, on ne saurait se résoudre à la moindre fatigue.

Serviteur paresseux et toujours murmurant, rougis donc de ce qu'il y ait des hommes plus ardents à leur perte que tu ne l'es à te sauver, et pour qui la vanité a plus d'attrait que n'en a pour toi la vérité.

Et cependant ils sont souvent abusés par leurs espérances ; tandis que ma promesse ne trompe point, et que jamais je ne me refuse à celui qui se confie en moi.

Ce que j'ai promis, je le donnerai ; ce que j'ai dit, je l'accomplirai, si toutefois l'on demeure avec fidélité dans mon amour jusqu'à la fin.

C'est moi qui récompense les bons, et qui éprouve fortement les justes.

 

5.Gravez mes paroles dans votre coeur et méditez-les profondément: car à l'heure de la tentation, elles vous seront très nécessaires.

Ce que vous n'entendez pas en le lisant, vous le comprendrez au jour de ma visite.

J'ai coutume de visiter mes élus de deux manières: par la tentation et la consolation.

Et tous les jours, je leur donne deux leçons: l'une en les reprenant de leurs défauts, l'autre en les exhortant à avancer dans la vertu.

Celui qui reçoit ma parole, et qui la méprise, sera jugé par elle au dernier jour.

 

6.Prière pour demander la grâce de la dévotion

Le fidèle : Seigneur mon Dieu, vous êtes tout mon bien: et que suis-je pour oser vous parler ?

Je suis le plus pauvre de vos serviteurs, et un abject ver de terre, beaucoup plus pauvre et plus méprisable que je ne sais et que je n'ose dire.

Souvenez-vous cependant, Seigneur, que je ne suis rien, que je n'ai rien, que je ne puis rien.

Vous êtes seul bon, juste et saint; vous pouvez tout, vous donnez tout, vous remplissez tout, hors le pécheur que vous laissez vide.

Souvenez-vous de vos miséricordes, et remplissez mon coeur de votre grâce, vous qui ne voulez point qu'aucun de vos ouvrages demeure vide.

 

7.Comment puis-je, en cette misérable vie, porter le poids de moi-même, si votre miséricorde et votre grâce ne me fortifient ?

Ne détournez pas de moi votre visage; ne différez pas à me visiter: ne me retirez point votre consolation, de peur que, privée de vous, mon âme ne devienne comme une terre sans eau.

Seigneur, apprenez-moi à faire votre volonté: apprenez-moi à vivre d'une vie humble et digne de vous.

Car vous êtes ma sagesse, vous me connaissez dans la vérité, et vous m'avez connu avant que je fusse au monde, et avant même que le monde fût.

 

4. Qu'il faut marcher en présence de Dieu dans la vérité et l'humilité

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, marchez devant moi dans la vérité, et cherchez-moi toujours dans la simplicité de votre coeur.

Celui qui marche devant moi dans la vérité ne craindra nulle attaque, la vérité le délivrera des calomnies et des séductions des méchants.

Si la vérité vous délivre, vous serez vraiment libre, et peu vous importeront les vains discours des hommes.

 

2.Le fidèle: Seigneur, il est vrai: qu'il me soit fait, de grâce, selon votre parole. Que votre vérité m'instruise, qu'elle me défende, qu'elle me conserve jusqu'à la fin dans la voie du salut.

Qu'elle me délivre de tout désir mauvais, de toute affection déréglée, et je marcherai devant vous dans une grande liberté de coeur.

 

3.Jésus-Christ: La vérité, c'est moi; je vous enseignerai ce qui est bon, ce qui m'est agréable.

Rappelez-vous vos péchés avec une grande douleur et un profond regret, et ne pensez jamais être quelque chose à cause du bien que vous faites.

Car, sans la vérité, vous n'êtes qu'un pécheur, sujet à beaucoup de passions et engagé dans leurs liens.

De vous-même vous tendez toujours au néant ; un rien vous ébranle, un rien vous abat, un rien vous trouble et vous décourage.

Qu'avez-vous donc dont vous puissiez vous glorifier ? et que de motifs, au contraire, pour vous mépriser vous-même ! car vous êtes beaucoup plus infirme que vous ne sauriez le comprendre.

 

4.Que rien de ce que vous faites ne vous paraisse donc quelque chose de grand.

Mais plutôt qu'à vos yeux rien ne soit grand, précieux, admirable, élevé, digne d'être estimé, loué, recherché, que ce qui est éternel.

Aimez par-dessus toutes choses l'éternelle vérité, et n'ayez jamais que du mépris pour votre extrême bassesse.

N'appréhendez rien tant, ne blâmez et ne fuyez rien tant que vos péchés et vos vices. Ils doivent vous affliger plus que toutes les pertes du monde.

Il y en a qui ne marchent pas devant moi avec un coeur sincère ; mais guidés par une certaine curiosité présomptueuse, ils veulent découvrir mes secrets et pénétrer les profondeurs de Dieu, tandis qu'ils négligent de s'occuper d'eux-mêmes et de leur salut.

Ceux-là tombent souvent, à cause de leur orgueil et de leur curiosité, en de grandes fautes, parce que je m'oppose à eux.

 

5.Craignez les jugements de Dieu: redoutez la colère du Tout-Puissant ; ne scrutez point les oeuvres du Très-Haut ; mais sondez vos iniquités, le mal que tant de fois vous avez commis, le bien que vous avez négligé.

Plusieurs mettent toute leur dévotion en des livres, d'autres en des images, d'autres en des signes et des marques extérieures.

Quelques-uns m'ont souvent dans la bouche, mais peu dans le coeur.

Il en est d'autres qui, éclairés et purifiés intérieurement, ne cessent d'aspirer aux biens éternels, ont à dégoût les entretiens de la terre, et ne s'assujettissent qu'à regret aux nécessités de la nature. Ceux-là entendent ce que l'esprit de vérité dit en eux.

Car il leur apprend à mépriser ce qui passe, à aimer ce qui dure éternellement, à oublier le monde, et à désirer le ciel, le jour et la nuit.

 

5. Des merveilleux effets de l'amour divin

 

1.Le fidèle : Je vous bénis, Père céleste, Père de Jésus-Christ, mon Seigneur, parce que vous avez daigné vous souvenir de moi, pauvre créature.

Ô Père des miséricordes et Dieu de toute consolation, je vous rends grâce de ce que, tout indigne que j'en suis, vous voulez bien cependant quelquefois me consoler.

Je vous bénis à jamais, et je vous glorifie avec votre Fils unique et l'Esprit consolateur, dans les siècles des siècles.

Ô Seigneur mon Dieu, saint objet de mon amour ! quand vous descendrez dans mon coeur, toutes mes entrailles tressailliront de joie.

Vous êtes la gloire et la joie de mon coeur.

Vous êtes mon espérance et mon refuge au jour de la tribulation.

 

2.Mais parce que mon amour est encore faible, et ma vertu chancelante, j'ai besoin d'être fortifié et consolé par vous; visitez-moi donc souvent, et dirigez-moi par vos divines instructions.

Délivrez-moi des passions mauvaises, et retranchez de mon coeur toutes ces affections déréglées, afin que, guéri et purifié intérieurement, je devienne propre à vous aimer, fort pour souffrir, ferme pour persévérer.

 

3.C'est quelque chose de grand que l'amour et un bien au-dessus de tous les biens. Seul il rend léger ce qui est pesant et fait qu'on peut supporter avec une âme égale toutes les vicissitudes de la vie.

Il porte son fardeau sans en sentir le poids et rend doux ce qu'il y a de plus amer.

L'amour de Jésus-Christ est généreux ; il fait entreprendre de grandes choses et il excite toujours à ce qu'il y a de plus parfait.

L'amour aspire à s'élever et ne se laisse arrêter par rien de terrestre.

L'amour veut être libre et dégagé de toute affection du monde, afin que ses regards pénètrent jusqu'à Dieu sans obstacle, afin qu'il ne soit ni retardé par les biens, ni abattu par les maux du temps.

Rien n'est plus doux que l'amour ; rien n'est plus fort, plus élevé, plus étendu, plus délicieux ; il n'est rien de plus parfait ni de meilleur au ciel et sur la terre, parce que l'amour est né de Dieu, au-dessus de toutes les créatures.

4.Celui qui aime, court, vole ; il est dans la joie, il est libre, et rien ne l'arrête.

Il donne tout pour posséder tout, et il possède tout en toutes choses, parce qu'au-dessus de toutes choses il se repose dans le seul Être souverain, de qui tout bien procède et découle.

Il ne regarde pas aux dons, mais il s'élève au-dessus de tous les biens, jusqu'à Celui qui donne.

L'amour souvent ne connaît point de mesure, mais, comme l'eau qui bouillonne, il déborde de toutes parts.

Rien ne lui pèse, rien ne lui coûte, il tente plus qu'il ne peut, jamais il ne prétexte l'impossibilité, parce qu'il se croit tout possible et tout permis.

Et à cause de cela il peut tout, et il accomplit beaucoup de choses qui fatiguent et qui épuisent vainement celui qui n'aime point.

 

5.L'amour veille sans cesse ; dans le sommeil même il ne dort point.

Aucune fatigue ne le lasse, aucuns liens ne l'appesantissent, aucunes frayeurs ne le troublent ; mais tel qu'une flamme vive et pénétrante, il s'élance vers le ciel et s'ouvre un sûr passage à travers tous les obstacles.

Si quelqu'un aime, il entend ce que dit cette voix.

L'ardeur même d'une âme embrasée s'élève jusqu'à Dieu comme un grand cri : Mon Dieu ! mon amour ! vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous.

 

6.Dilatez-moi dans l'amour afin que j'apprenne à goûter au fond de mon coeur combien il est doux d'aimer, et de se fondre et de se perdre dans l'amour.

Que l'amour me ravisse et m'élève au-dessus de moi-même, par la vivacité de ses transports.

Que je chante le cantique de l'amour, que je vous suive, ô mon bien-aimé, jusque dans les hauteurs de votre gloire, que toutes les forces de mon âme s'épuisent à vous louer, et qu'elle défaille de joie et d'amour.

Que je vous aime plus que moi, que je ne m'aime moi-même que pour vous, et que j'aime en vous tous ceux qui vous aiment véritablement, ainsi que l'ordonne la loi de l'amour, que nous découvrons dans votre lumière.

 

7.L'amour est prompt, sincère, pieux, doux, prudent, fort, patient, fidèle, constant, magnanime, et il ne se recherche jamais ; car dès qu'on commence à se rechercher soi-même, à l'instant on cesse d'aimer.

L'amour est circonspect, humble et droit, sans mollesse, sans légèreté, il ne s'occupe point de choses vaines, il est sobre, chaste, ferme, tranquille, et toujours attentif à veiller sur les sens.

L'amour est obéissant et soumis aux supérieurs ; il est vil et méprisable à ses yeux.

Dévoué à Dieu sans réserve, et toujours plein de reconnaissance, il ne cesse point de se confier en lui, d'espérer en lui, lors même qu'il semble en être délaissé, parce qu'on ne vit point sans douleur dans l'amour.

 

8.Qui n'est pas prêt à tout souffrir et à s'abandonner entièrement à la volonté de son bien-aimé, ne sait pas ce que c'est que d'aimer.

Il faut que celui qui aime embrasse avec joie tout ce qu'il y a de plus dur et de plus amer, pour son bien-aimé, et qu'aucune traverse ne le détache de lui.

 

6. De l'épreuve du véritable amour

 

1.Jésus-Christ : Mon fils, votre amour n'est encore ni assez fort ni assez éclairé.

Le fidèle : Pourquoi, Seigneur ?

Jésus-Christ : Parce qu'à la moindre contrariété, vous laissez là l'oeuvre commencée, et que vous recherchez trop avidement les consolations.

Celui qui aime fortement demeure ferme dans la tentation, et ne cède point aux suggestions artificieuses de l'ennemi. Dans le mauvais comme dans le bon succès, son coeur est également à moi.

 

2.Celui dont l'amour est éclairé considère moins le don de celui qui aime que l'amour de celui qui donne.

L'affection le touche plus que le bienfait et il préfère son bien-aimé à tout ce qu'il reçoit de lui.

Celui qui m'aime d'un amour généreux ne se repose pas dans mes dons, mais en moi par-dessus tous mes dons.

Ne croyez pas tout perdu cependant s'il vous arrive de sentir pour moi ou pour mes saints moins d'amour que vous ne voudriez.

Cet amour tendre et doux que vous éprouvez quelquefois est l'effet de la présence de la grâce et une sorte d'avant-goût de la patrie céleste; il n'y faut pas chercher trop d'appui parce qu'il passe comme il est venu.

Mais combattre les mouvements déréglés de l'âme et mépriser les sollicitations du démon, c'est un grand sujet de mérite et la marque d'une solide vertu.

 

3.Ne vous troublez donc point des fantômes, quels qu'ils soient, qui obsèdent votre imagination.

Conservez une résolution ferme et une intention droite devant Dieu.

Ce n'est point une illusion si quelquefois vous êtes soudain ravi en extase et qu'aussitôt vous retombiez dans les pensées misérables qui occupent d'ordinaire votre coeur.

Car vous souffrez alors plus que vous n'agissez; et tant qu'elles vous déplaisent et que vous y résistez, c'est un mérite et non pas une chute.

 

4.Sachez que l'antique ennemi s'efforce d'étouffer vos bons désirs et de vous éloigner de tout pieux exercice, du culte des saints, de la méditation de mes douleurs et de ma mort, du souvenir si utile de vos péchés, de l'attention de veiller sur votre coeur, et du ferme propos d'avancer dans la vertu.

Il vous suggère mille pensées mauvaises pour vous causer du trouble et de l'ennui, pour vous détourner de la prière et des lectures saintes.

Une humble confession lui déplaît et, s'il pouvait, il vous éloignerait tout à fait de la communion.

Ne le craignez point et n'ayez de lui aucune appréhension, quoiqu'il vous tende souvent des pièges pour vous surprendre.

Rejetez sur lui seul les pensées criminelles et honteuses qu'il vous inspire. Dites-lui : Va, esprit immonde; rougis, malheureux; il faut que tu sois étrangement pervers pour me tenir un pareil langage.

Retire-toi de moi, détestable séducteur, tu n'auras jamais en moi aucune part ; mais Jésus sera près de moi comme un guerrier formidable, et tu demeureras confondu.

J'aime mieux mourir et souffrir tous les tourments, que de consentir à ce que tu me proposes.

Tais-toi donc, ne me parle plus; je ne t'écouterai pas davantage, quoi que tu fasses pour m'inquiéter. Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que craindrais-je ?

Quand une armée se rangerait en bataille contre moi, mon coeur ne craindrait pas.

Le Seigneur est mon aide et mon Rédempteur.

 

5.Combattez comme un généreux soldat, et si quelquefois vous succombez par fragilité, reprenez un courage plus grand dans l'espérance d'être soutenu par une grâce plus forte ; et gardez-vous surtout de la vaine complaisance et de l'orgueil.

C'est ainsi que plusieurs s'égarent et tombent dans un aveuglement presque incurable.

Que la chute de ces superbes qui présumaient follement d'eux-mêmes vous soit une leçon continuelle de vigilance et d'humilité.

 

7. Qu'il faut cacher humblement les grâces que Dieu nous fait

 

1.Jésus-Christ : Mon fils, lorsque la grâce vous inspire des mouvements de piété, il est meilleur pour vous et plus sûr de tenir cette grâce cachée, de ne vous en point élever, d'en parler peu et de ne pas vous exagérer sa grandeur; mais plutôt de vous mépriser

vous-même et de craindre une faveur dont vous êtes indigne.

Il ne faut pas s'attacher trop à un sentiment qui bientôt peut se changer en un sentiment contraire.

Quand la grâce vous est donnée, songez combien vous êtes pauvre et misérable sans la grâce.

Le progrès de la vie spirituelle ne consiste pas seulement à jouir des consolations de la grâce, mais à en supporter la privation avec humilité, avec abnégation, avec patience, de sorte qu'alors on ne se relâche point dans l'exercice de la prière, et qu'on n'abandonne aucune de ses pratiques accoutumées.

Faites, au contraire, tout ce qui est en vous le mieux que vous pourrez, selon vos lumières, et ne vous négligez pas entièrement vous-même à cause de la sécheresse et de l'angoisse que vous sentez en votre âme.

 

2.Car il y en a beaucoup qui, au temps de l'épreuve, tombent aussitôt dans l'impatience et le découragement.

Cependant la voie de l'homme n'est pas toujours en son pouvoir. C'est à Dieu de consoler et de donner quand il veut, autant qu'il veut, et à qui il veut, comme il lui plaît, et non davantage.

Des indiscrets se sont perdus par la grâce même de la dévotion, parce qu'ils ont voulu faire plus qu'ils ne pouvaient, ne mesurant point leur faiblesse, mais suivant plutôt l'impétuosité de leur coeur que le jugement de la raison.

Et parce qu'ils ont aspiré, dans leur présomption, à un état plus élevé que celui où Dieu les voulait, ils ont promptement perdu la grâce.

Ils avaient placé leur demeure dans le ciel, et tout à coup on les a vus pauvres et délaissés dans leur misère, afin que par l'humiliation et le dénuement ils apprissent à ne plus tenter de s'élever sur leurs propres ailes, mais à se réfugier sous les miennes.

Ceux qui sont encore nouveaux et sans expérience dans les voies de Dieu peuvent aisément s'égarer et se briser sur les écueils, s'ils ne se laissent conduire par des personnes prudentes.

 

3.Que s'ils veulent suivre leur sentiment plutôt que de croire à l'expérience des autres, le résultat leur en sera funeste, si toutefois ils s'obstinent dans leur propre sens.

Rarement ceux qui sont sages à leurs yeux se laissent humblement conduire par les autres.

Il vaut mieux être humble, avec un esprit et des lumières bornés, que de posséder des trésors de science et de se complaire en soi-même.

Il vaut mieux pour vous avoir peu, que beaucoup dont vous pourriez vous enorgueillir.

Celui-là manque de prudence qui se livre tout entier à la joie, oubliant son indigence passée, et cette chaste crainte du Seigneur qui appréhende de perdre la grâce reçue.

C'est aussi manquer de vertu que de se laisser aller à un découragement excessif au temps de l'adversité et de l'épreuve, et d'avoir des pensées et des sentiments indignes de la confiance qu'on me doit.

 

4.Celui qui, durant la paix, a trop de sécurité, se trouve souvent pendant la guerre le plus timide et le plus lâche.

Si ne présumant jamais de vous-même, vous saviez demeurer toujours humble, modérer et régler les mouvements de votre esprit, vous ne tomberiez pas si vite dans le péril et le péché.

C'est une pratique sage que de penser, durant la ferveur, à ce qu'on sera dans la privation de la lumière.

Et quand vous en êtes en effet privé, songez qu'elle peut revenir et que je ne vous l'ai retirée pour un temps qu'en vue de ma gloire et pour exciter votre vigilance.

Souvent une telle épreuve vous est plus utile que si tout vous succédait constamment selon vos désirs.

Car pour juger du mérite, on ne doit pas regarder si quelqu'un a beaucoup de visions ou de consolations, ou s'il est habile dans l'Ecriture sainte, ou s'il occupe un rang élevé, mais s'il est affermi dans la véritable humilité et rempli de la charité divine; s'il cherche en tout et toujours uniquement la gloire de Dieu; s'il est bien convaincu de son néant ; s'il a pour lui-même un mépris sincère, et s'il se réjouit plus d'être méprisé des autres et humilié par eux, que d'en être honoré.

 

8. Qu'il faut s'anéantir soi-même devant Dieu

 

1.Le fidèle : Je parlerai au Seigneur mon Dieu, bien que je ne sois que cendre et poussière. Si je me crois quelque chose de plus, voilà que vous vous élevez contre moi, et mes iniquités rendent un témoignage vrai et que je ne puis contredire.

Mais si je m'abaisse, si je m'anéantis, et si je me dépouille de toute estime pour moi-même, et que je rentre dans la poussière dont j'ai été formé, votre grâce s'approchera de moi et votre lumière sera près de mon coeur; alors tout sentiment d'estime, même le plus léger, que je pourrais concevoir de moi disparaîtra pour jamais dans l'abîme de mon néant.

Là vous me montrez à moi-même, vous me faites voir ce que je suis, ce que j'ai été, jusqu'où je suis descendu: car je ne suis rien, et je ne le savais pas.

Si vous me laissez à moi-même, que suis-je ? Rien qu'infirmité; mais dès que vous jetez un regard sur moi, à l'instant je deviens fort et je suis rempli d'une joie nouvelle.

Et certes cela me confond d'étonnement que vous me releviez ainsi tout d'un coup et me preniez avec tant de bonté entre vos bras, moi toujours entraîné par mon propre poids vers la terre.

 

2.C'est votre amour qui opère cette merveille, qui me prévient gratuitement, qui ne se lasse point de me secourir dans les nécessités, qui me préserve des plus grands périls et, à vrai dire, me délivre de maux innombrables.

Car je me suis perdu en m'aimant d'un amour déréglé; mais en ne cherchant que vous, en n'aimant que vous, je vous ai trouvé et je me suis retrouvé moi-même, et l'amour m'a fait rentrer plus avant dans mon néant.

Ô Dieu plein de tendresse ! vous faites pour moi beaucoup plus que je ne mérite, ou plus que je n'oserais espérer ou demander.

 

3.Soyez béni, mon Dieu, de ce que tout indigne que je suis de recevoir de vous aucune grâce, cependant votre bonté généreuse et infinie ne cesse de faire du bien même aux ingrats et à ceux qui sont le plus éloignés de vous.

Ramenez-nous à vous, afin que nous soyons reconnaissants, humbles, fervents, parce que vous êtes notre salut, notre vertu et notre force.

 

9. Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre dernière fin

 

1.Jésus-Christ : Mon fils, je dois être votre fin suprême et dernière, si véritablement vous désirez être heureux.

Cette vue purifiera vos affections, qui s'abaissent trop souvent jusqu'à vous et aux créatures.

Car si vous vous recherchez en quelque chose, aussitôt vous tombez dans la langueur et la sécheresse.

Rapportez donc principalement tout à moi, parce que c'est moi qui vous ai tout donné.

Considérez chaque bien comme découlant du souverain bien, et songez que dès lors ils doivent tous remonter à moi comme à leur origine.

 

2.En moi comme dans une source intarissable, le petit et le grand, le pauvre et le riche puisent l'eau vive, et ceux qui me servent volontairement et de coeur recevront grâce sur grâce.

Mais celui qui cherchera sa gloire hors de moi, ou sa jouissance dans un autre bien que moi, sa joie ne sera ni vraie ni solide, et son coeur, toujours à la gêne, toujours à l'étroit, ne trouvera que des angoisses.

Ne vous attribuez donc aucun bien, et n'attribuez à nul homme sa vertu; mais rendez tout à Dieu, sans qui l'homme n'a rien.

C'est moi qui vous ai tout donné et je veux que vous vous donniez à moi tout entier, j'exige avec une extrême rigueur les actions de grâce qui me sont dues.

 

3.Ceci est la vérité qui dissipe la vanité de la gloire.

Là où pénètrent la grâce céleste et la vraie charité, il n'y a plus de place pour l'amour-propre ni pour l'envie, qui torturent le coeur.

Car l'amour divin subjugue tout et agrandit toutes les forces de l'âme.

Si vous écoutez la sagesse, vous ne vous réjouirez qu'en moi, vous n'espérerez qu'en moi, parce que nul n'est bon que Dieu seul, à qui, en tout et par-dessus tout, est due à jamais la louange et la bénédiction.

 

10. Qu'il est doux de servir Dieu et de mépriser le monde

 

1.Le fidèle : Je vous parlerai encore, Seigneur, et je ne me tairai point. Je dirai à mon Dieu, mon Seigneur et mon Roi, assis dans les hauteurs des cieux :

Oh ! quelle abondance de douceur vous avez réservée pour ceux qui vous craignent.

Et qu'est-ce donc pour ceux qui vous aiment, pour ceux qui vous servent de tout leur coeur ?

Elles sont vraiment ineffables, les délices dont vous inondez ceux qui vous aiment, quand leur âme vous contemple.

Vous m'avez montré principalement en ceci toute la tendresse de votre amour; je n'étais pas, et vous m'avez créé; j'errais loin de vous, vous m'avez ramené pour vous servir, et vous m'avez commandé de vous aimer.

 

2.Ô source d'amour éternel, que dirai-je de vous ?

Comment pourrai-je vous oublier, vous qui avez daigné vous souvenir de moi lorsque, déjà épuisé, consumé, je penchais vers la mort ?

Votre miséricorde envers votre serviteur a passé toute espérance, et vous avez répandu sur lui votre grâce et votre amour bien au-delà de tout ce qu'il pouvait mériter.

Que vous rendrai-je pour une telle faveur ? car il n'est pas donné à tous de tout quitter, de renoncer au siècle pour embrasser la vie religieuse.

Est-ce faire beaucoup que de vous servir, vous que doivent servir toutes les créatures ?

Cela doit me sembler peu de chose; mais ce qui me paraît grand et merveilleux, c'est que vous daigniez agréer le service d'une créature si pauvre et si misérable, et l'admettre parmi les serviteurs que vous aimez.

 

3.Tout ce que j'ai, tout ce que je puis consacrer à votre service est à vous.

Et néanmoins, prenant pour ainsi dire ma place, vous me servez plus que moi-même je ne vous sers.

Voilà que le ciel et la terre, que vous avez créés pour le service de l'homme, sont devant vous, et chaque jour ils exécutent tout ce que vous leur avez commandé.

C'est peu encore; vous avez préparé pour l'homme le ministère même des anges.

Mais ce qui surpasse tout, vous avez daigné le servir vous-même, et vous avez promis de vous donner à lui.

 

4.Que vous rendrai-je pour tant de biens ? Ah ! si je pouvais vous servir tous les jours de ma vie ! si je pouvais même un seul jour vous servir dignement !

Il est bien vrai que vous êtes digne d'être servi universellement, digne de tout honneur et d'une louange éternelle.

Vous êtes vraiment mon Seigneur et je suis votre pauvre serviteur, qui doit vous servir de toutes mes forces et ne me lasser jamais de vous louer. Je le veux ainsi, je le désire ainsi ; daignez suppléer vous-même à tout ce qui me manque.

 

5.C'est un grand honneur, une grande gloire de vous servir, et de mépriser tout à cause de vous.

Car ils recevront des grâces abondantes, ceux qui se courbent sous votre joug très saint.

Ils seront abreuvés de la délectable consolation de l'Esprit-Saint, ceux qui pour votre amour auront rejeté tous les plaisirs des sens.

Ils jouiront d'une grande liberté d'esprit, ceux qui pour la gloire de votre nom seront entrés dans la voie étroite et auront renoncé à toutes les sollicitudes du monde.

 

6.Ô aimable et douce servitude de Dieu, dans laquelle l'homme retrouve la vraie liberté et la sainteté !

Ô saint assujettissement de la vie religieuse qui rend l'homme agréable à Dieu, égal aux anges, terrible aux démons, respectable à tous les fidèles !

Ô esclavage digne à jamais d'être désiré, embrassé, puisqu'il nous mérite le souverain bien et nous assure une joie éternelle.

 

11. Qu'il faut examiner et modérer les désirs du coeur

 

1.Jésus-Christ : Mon fils, il faut que vous appreniez beaucoup de choses que vous ne savez pas encore assez.

 

2.Le fidèle : Et quoi, Seigneur ?

 

3.Jésus-Christ : Vous devez soumettre entièrement vos désirs à ma volonté, ne point vous aimer vous-même, et ne rechercher en tout que ce qui me plaît.

Souvent vos désirs s'enflamment et vous emportent impétueusement, mais considérez si cette ardeur a ma gloire pour motif ou votre intérêt propre.

Si c'est moi que vous avez en vue, vous serez content, quoi que j'ordonne; mais si quelque secrète recherche de vous-même se cache au fond de votre coeur, voilà ce qui vous abat et vous trouble.

 

4.Prenez donc garde de vous trop attacher à des désirs sur lesquels vous ne m'avez point consulté, de peur qu'ensuite vous ne veniez à vous repentir, ou que vous n'éprouviez du dégoût pour ce qui vous avait plu d'abord, et que vous aviez cru le meilleur.

Car tout mouvement qui paraît bon ne doit pas être aussitôt suivi; de même qu'on ne doit pas non plus céder sur-le-champ à ses répugnances.

Quelquefois il est à propos de modérer le zèle le plus saint et les meilleurs désirs, de peur qu'ils ne préoccupent et ne distraient votre esprit, ou qu'en les suivant indiscrètement vous ne causiez du scandale aux autres; ou qu'enfin l'opposition que vous y trouverez ne vous jette vous-même dans le trouble et dans l'abattement.

 

5.Il faut aussi quelquefois user de violence et résister aux convoitises des sens avec une grande force, sans prendre garde à ce que veut la chair et à ce qu'elle ne veut pas ; et travailler surtout à la soumettre à l'esprit malgré elle.

Il faut la châtier et l'asservir jusqu'à ce que, prête à tout, elle ait appris à se contenter de peu, à aimer les choses simples et à ne jamais se plaindre de rien.

 

12. Qu'il faut s'exercer à la patience, et lutter contre ses passions

 

1.Le fidèle: Seigneur mon Dieu, je vois combien la patience m'est nécessaire; car cette vie est pleine de contradictions.

Elle ne peut jamais être exempte de douleur et de guerre, quoi que je fasse pour avoir la paix.

 

2.Jésus-Christ: Oui, mon fils; mais je ne veux pas que vous cherchiez une paix telle que vous n'ayez ni tentations à vaincre, ni contrariétés à souffrir.

Croyez au contraire avoir trouvé la paix lorsque vous serez exercé par beaucoup de tribulations et éprouvé par beaucoup de traverses.

Si vous dites que vous ne pouvez supporter tant de souffrances, comment supporterez-vous le feu du purgatoire ?

De deux maux il faut choisir le moindre; afin donc d'éviter des supplices éternels, efforcez-vous d'endurer pour Dieu, avec patience, les maux présents.

Pensez-vous que les hommes du siècle n'aient rien ou que peu de choses à souffrir ?

C'est ce que vous ne trouverez pas, même en ceux qui semblent environnés de plus de délices.

 

3.Mais ils ont, dites-vous, des plaisirs en abondance; ils suivent toutes leurs volontés et ainsi ils sentent peu le poids de leurs maux.

Soit, je veux qu'ils aient tout ce qu'ils désirent; combien cela durera-t'il ?

Voilà que les riches du siècle s'évanouiront comme la fumée, et il ne restera pas même un souvenir de leurs joies passées.

Et durant leur vie même, ils ne s'y reposent pas sans amertume, sans ennui et sans crainte.

Car souvent, là même où ils se promettaient la joie, ils rencontrent le châtiment et la douleur, et avec justice, puisqu'il est juste que l'amertume et l'ignominie accompagnent les plaisirs qu'ils cherchent dans le désordre.

 

4.Oh ! que tous ces plaisirs sont courts, qu'ils sont faux, criminels, honteux !

Et cependant des malheureux, enivrés et aveuglés, ne le comprennent point; mais semblables à des animaux sans raison, ils exposent leur âme à la mort pour quelques jouissances misérables dans une vie qui va finir.

Pour vous, mon fils, ne suivez pas vos convoitises, et détachez-vous de votre volonté.

Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera ce que votre coeur demande.

 

5.Si vous voulez goûter une véritable joie et des consolations plus abondantes, méprisez toutes les choses du monde, repoussez toutes les joies terrestres; et je vous bénirai, je verserai sur vous mes inépuisables consolations.

Plus vous renoncerez à celles que donnent les créatures, plus les miennes seront douces et puissantes.

Mais vous ne les goûterez point sans avoir auparavant ressenti quelque tristesse, sans avoir travaillé, combattu.

Une mauvaise habitude vous arrêtera; mais vous la vaincrez par une meilleure.

La chair murmurera; mais elle sera contenue par la ferveur de l'esprit.

L'antique serpent vous sollicitera, vous exercera; mais vous le mettrez en fuite par la prière; et en vous occupant surtout d'un travail utile, vous lui fermerez l'entrée de votre âme.

 

13. Qu'il faut obéir humblement, à l'exemple de Jésus-Christ

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, celui qui cherche à se soustraire à l'obéissance se soustrait à la grâce; et celui qui veut posséder seul quelque chose perd ce qui est à tous.

Quand on ne se soumet pas volontairement et de bon coeur à son supérieur, c'est une marque que la chair n'est pas encore pleinement assujettie, mais que souvent elle murmure et se révolte.

Apprenez donc à obéir avec promptitude à vos supérieurs si vous désirez dompter votre chair.

Car l'ennemi du dehors est bien plus vite vaincu quand l'homme n'a pas la guerre au-dedans de soi.

L'ennemi le plus terrible et le plus dangereux pour votre âme, c'est vous, lorsque vous êtes divisé en vous-même.

Il faut que vous appreniez à vous mépriser sincèrement si vous voulez triompher de la chair et du sang.

L'amour désordonné que vous avez encore pour vous-même, voilà ce qui vous fait craindre de vous abandonner sans réserve à la volonté des autres.

 

2.Est-ce donc cependant un si grand effort que toi, poussière et néant, tu te soumettes à cause de Dieu, lorsque moi le Tout-Puissant, moi le Très-Haut, qui ai tout fait de rien, je me suis soumis humblement à l'homme à cause de toi ?

Je me suis fait le plus humble et le dernier de tous afin que mon humilité t'apprît à vaincre ton orgueil.

Poussière, apprends à obéir, apprends à t'humilier, terre et limon, à t'abaisser sous les pieds de tout le monde.

Apprends à briser ta volonté et à ne refuser aucune dépendance.

 

3.Enflamme-toi de zèle contre toi-même et ne souffre pas que le moindre orgueil vive en toi; mais fais-toi si petit et mets-toi si bas que tout le monde puisse marcher sur toi et te fouler aux pieds comme la boue des places publiques.

Fils du néant, qu'as-tu à te plaindre ? Pécheur couvert d'ignominie, qu'as-tu à répondre, quelque reproche qu'on t'adresse, toi qui as tant de fois offensé Dieu, tant de fois mérité l'enfer ?

Mais ma bonté t'a épargné parce que ton âme a été précieuse devant moi; mais je ne t'ai point délaissé afin que tu connusses mon amour et que mes bienfaits ne cessassent jamais d'être présents à ton coeur, que tu fusses toujours prêt à te soumettre, à t'humilier et à souffrir les mépris et la patience.

 

14. Qu'il faut considérer les secrets jugements de Dieu pour ne pas s'enorgueillir du bien qu'on fait

 

1.Le fidèle: Vous faites tomber sur moi vos jugements, Seigneur, et tous mes os ont tremblé d'épouvante, et mon âme est dans une profonde terreur.

Interdit, effrayé, je considère que les cieux ne sont pas purs à vos yeux.

Si vous avez trouvé le mal dans vos anges, et si vous ne les avez pas épargnés, que sera-ce de moi ?

Les étoiles sont tombées du ciel; moi, poussière, que dois-je attendre ?

Des hommes dont les oeuvres paraissent louables sont tombés aussi bas qu'on puisse tomber, et j'ai vu ceux qui se nourrissaient du pain des anges faire leurs délices de la pâture des pourceaux.

 

2.Il n'est donc point de sainteté, Seigneur, si vous retirez votre main.

Point de sagesse qui soit utile, si vous ne la dirigez plus.

Point de force qui soit de secours, si vous cessez de la soutenir.

Point de chasteté assurée, si vous n'en prenez la défense.

Point de vigilance qui nous serve, si vous ne veillez vous-même pour nous.

Laissés à nous-mêmes, nous enfonçons dans les flots et nous périssons; venez-vous à nous, nous nous relevons et nous vivons.

Car nous sommes chancelants, mais vous nous affermissez; nous sommes tièdes, mais vous nous enflammez.

 

3.Oh ! que je dois avoir d'humbles et basses pensées de moi-même ! que je dois estimer peu ce qui paraît de bien en moi !

Oh ! que je dois m'abaisser profondément, Seigneur, devant vos jugements impénétrables où je me perds comme dans un abîme, et vois que je ne suis rien que néant et un pur néant !

Ô poids immense ! ô mer sans rivages, où je ne retrouve rien de moi, où je disparais comme le rien au milieu du tout !

Où donc l'orgueil se cachera-t'il ? où la confiance en sa propre vertu ?

Toute vanité s'éteint dans la profondeur de vos jugements sur moi.

 

4.Qu'est-ce que toute chair devant vous ? L'argile s'élèvera-t'elle contre celui qui l'a formée ?

Comment celui dont le coeur est vraiment soumis à Dieu pourrait-il s'enfler d'une louange vaine ?

Le monde entier ne saurait inspirer d'orgueil à celui que la vérité a soumis à son empire, et jamais il ne sera ému des applaudissements des hommes, celui dont toute l'espérance est affermie en Dieu.

Car ceux qui parlent ne sont rien; ils s'évanouiront avec le bruit de leurs paroles: mais la vérité du Seigneur demeure éternellement.

 

15. De ce que nous devons être et faire quand il s'élève quelque désir en nous

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, dites en toutes choses: Seigneur, qu'il soit ainsi, si c'est votre volonté; Seigneur, que cela se fasse en votre nom, si vous devez en être honoré.

Si vous voyez que cela me soit bon, si vous jugez que cela me soit utile, alors donnez-le-moi, afin que j'en use pour votre gloire.

Mais si vous savez que cela me nuira ou ne servira point au salut de mon âme, éloignez de moi ce désir.

Car tout désir n'est pas de l'Esprit-Saint, même lorsqu'il paraît bon et juste à l'homme.

Il est difficile de discerner avec certitude si c'est l'esprit bon ou mauvais qui vous porte à désirer ceci ou cela, ou même votre esprit propre.

Il s'est trouvé à la fin que plusieurs étaient dans l'illusion, qui semblaient d'abord être conduits par le bon esprit.

 

2.Ainsi, tout ce qui se présente de désirable à votre esprit, vous devez le désirer toujours et le demander avec une grande humilité de coeur, et surtout avec une pleine résignation, vous abandonnant à moi sans réserve et disant: Seigneur, vous savez ce qui est le mieux; que ceci ou cela se fasse comme vous le voulez.

Donnez ce que vous voulez, autant que vous le voulez et quand vous le voulez.

Faites de moi ce qu'il vous plaira, selon ce que vous savez être bon, et pour votre plus grande gloire.

Placez-moi où vous voudrez et disposez absolument de moi en toutes choses.

Je suis dans votre main, tournez-moi et retournez-moi en tout sens à votre gré.

Voilà que je suis prêt à vous servir en tout. Car je ne désire point vivre pour moi, mais pour vous seul: heureux si je le pouvais dignement et parfaitement.

 

3.Prière pour demander à Dieu la grâce d'accomplir sa volonté

Le fidèle: Accordez-moi, ô bon Jésus ! votre grâce; qu'elle soit en moi, qu'elle agisse avec moi, et qu'elle demeure avec moi jusqu'à la fin.

Faites que je désire et veuille toujours ce qui vous est le plus agréable et ce que vous aimez le plus.

Que votre volonté soit la mienne; et que ma volonté suive toujours la vôtre et jamais ne s'en écarte en rien.

Qu'uni à vous, je ne veuille ni ne puisse vouloir que ce que vous voulez; et qu'il en soit ainsi de ce que vous ne voulez pas.

 

4.Donnez-moi de mourir à tout ce qui est du monde, et d'aimer être oublié et méprisé du siècle à cause de vous.

Faites que je me repose en vous par-dessus tout ce qu'on peut désirer, et que mon coeur ne recherche sa paix qu'en vous.

Vous êtes la véritable paix du coeur, son unique repos; hors de vous, tout pèse et inquiète. Dans cette paix, c'est-à-dire en vous seul, éternel et souverain bien, je dormirai et je me reposerai ! Ainsi soit-il.

 

16. Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie consolation

 

1.Le fidèle: Tout ce que je puis désirer ou imaginer pour ma consolation, je ne l'attends point ici, mais dans l'avenir.

Quand je posséderais seul tous les biens du monde, quand je jouirais seul de tous ses délices, il est certain que tout cela ne durerait pas longtemps.

Ainsi, mon âme, tu ne peux trouver de soulagement véritable et de joie sans mélange qu'en Dieu, qui console les pauvres et relève les humbles.

Attends un peu, mon âme, attends sa divine promesse, et tu posséderas dans le ciel tous les biens en abondance.

Si tu recherches trop avidement les biens présents, tu perdras les biens éternels et célestes.

Use des uns et désire les autres.

Aucun bien temporel ne saurait te rassasier parce que tu n'as point été créée pour en jouir.

 

2.Quand tu posséderais tous les biens créés, ils ne pourraient te rendre heureuse ni contente; en Dieu, qui a tout créé, en lui seul est ta félicité et tout ton bonheur.

Bonheur non pas tel que se le figurent et que l'aiment les amis insensés du monde, mais tel que l'attendent les vrais serviteurs de Jésus-Christ, et tel que le goûtent quelquefois par avance les âmes pieuses et les coeurs purs, dont l'entretien est dans le ciel.

Toute consolation humaine est vide et dure peu.

La vraie, la douce consolation est celle que la vérité fait sentir intérieurement.

L'homme pieux porte avec lui partout Jésus, son consolateur, et lui dit: Seigneur, soyez près de moi en tout temps et en tout lieu.

Que ma consolation soit d'être volontiers privé de toute consolation humaine.

Et si la vôtre me manque aussi, que votre volonté et cette juste épreuve me soient une consolation au-dessus de toutes les autres.

Car vous ne serez pas toujours irrité, et vos menaces ne seront point éternelles.

 

17 . Qu'il faut remettre à Dieu le soin de ce qui nous regarde

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, laissez-moi agir avec vous comme il me plaît; car je sais ce qui vous est bon.

Vos pensées sont celles de l'homme et vos sentiments sont, en beaucoup de choses, conformes aux penchants de son coeur.

 

2.Le fidèle: Il est vrai, Seigneur; vous prenez de moi beaucoup plus de soin que je n'en puis prendre moi-même.

Il est menacé d'une prompte chute, celui qui ne s'appuie pas uniquement sur vous.

Pourvu, Seigneur, que ma volonté demeure droite et qu'elle soit affermie en vous, faites de moi tout ce qu'il vous plaira, car tout ce que vous ferez de moi ne peut être que bon.

Si vous voulez que je sois dans les ténèbres, soyez béni; et si vous voulez que je sois dans la lumière, soyez encore béni.

Si vous daignez me consoler, soyez béni; et si vous voulez que j'éprouve des tribulations, soyez également toujours béni.

 

3.Jésus-Christ: Mon fils, c'est ainsi que vous devez être, si vous ne voulez pas vous séparer de moi.

Il faut que vous soyez préparé à la souffrance autant qu'à la joie, au dénuement et à la pauvreté autant qu'aux richesses et à l'abondance.

 

4.Le fidèle: Seigneur, je souffrirai volontiers pour vous tout ce que vous voudrez qui vienne sur moi.

Je veux recevoir indifféremment de votre main, le bien et le mal, les douceurs et les amertumes, la joie et la tristesse, et vous rendre grâce de tout ce qui m'arrivera.

Préservez-moi à jamais de tout péché et je ne craindrai ni la mort, ni l'enfer.

Pourvu que vous ne me rejetiez pas, et que vous ne m'effaciez pas du livre de vie, aucune tribulation ne peut me nuire.

 

18. Qu'il faut souffrir avec constance les misères de cette vie à l'exemple de Jésus-Christ

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, je suis descendu du ciel pour votre salut; je me suis chargé de vos misères, afin de vous former par mon exemple à la patience, et de vous apprendre à supporter les maux de cette vie sans murmurer.

Car depuis l'heure de ma naissance jusqu'à ma mort sur la croix, je n'ai jamais été sans douleur.

J'ai vécu dans une extrême indigence des choses de ce monde; j'ai entendu souvent bien des plaintes de moi; j'ai souffert avec douceur les affronts et les outrages; je n'ai recueilli sur la terre, pour mes bienfaits, que de l'ingratitude; pour mes miracles, que des blasphèmes; pour ma doctrine, que des censures.

 

2.Le fidèle: Puisque vous avez montré, Seigneur, tant de patience durant votre vie, accomplissant par là, d'une manière parfaite, ce que votre Père demandait de vous, il est bien juste que moi, pauvre pécheur, je souffre patiemment ma misère selon votre volonté, et que je porte pour mon salut, aussi longtemps que vous le voudrez, le poids de cette vie corruptible.

Car, bien que la vie présente soit pleine de douleurs, elle devient cependant, par votre grâce, une source abondante de mérites, et votre exemple suivi par vos saints la rend plus supportable et précieuse, même aux faibles.

Elle est aussi beaucoup plus remplie de consolations que dans l'ancienne loi, quand les portes du ciel étaient encore fermées, que la voie du ciel semblait plus obscure, et que si peu s'occupaient de chercher le royaume de Dieu.

Les justes mêmes, à qui le salut était réservé, ne pouvaient entrer dans le royaume céleste qu'après la consommation de vos souffrances et le tribut sacré de votre mort.

 

3.Oh ! quelles grâces ne dois-je pas vous rendre, de ce que vous avez daigné me montrer, et à tous les fidèles, la voie droite et sûre qui conduit à votre royaume éternel !

Car votre vie est notre voie et par une sainte patience, nous marchons vers vous, qui êtes notre couronne.

Si vous ne nous aviez précédés et instruits, qui songerait à vous suivre ?

Hélas ! combien resteraient en arrière, et bien loin, s'ils n'avaient sous les yeux vos exemples sacrés !

Après tant de miracles et d'instructions, nous sommes encore tièdes; que serait-ce si tant de lumières ne nous guidait sur vos traces !

 

19. De la souffrance des injures, et de la véritable patience

 

1.Jésus-Christ: Pourquoi ces paroles, mon fils ? Cessez de vous plaindre, en considérant mes souffrances et celles des saints.

Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang.

Ce que vous souffrez est peu en comparaison de ce qu'on souffert tant d'autres, qui ont été éprouvés et exercés par de si fortes tentations, par des tribulations si pesantes.

Rappelez donc à votre esprit les peines extrêmes des autres, afin d'en supporter paisiblement de plus légères.

Que si elles ne vous paraissent pas légères, prenez garde que cela ne vienne de votre impatience.

Cependant, grandes ou petites, efforcez-vous de les souffrir patiemment.

 

2.Plus vous vous disposez à souffrir, plus vous montrez de sagesse et acquérez de mérites. La ferme résolution et l'habitude de souffrir vous rendront même la souffrance moins dure.

Ne dites pas: Je ne puis supporter cela d'un tel homme; ce sont des offenses qu'on n'endure point. Il m'a fait un très grand tort, et il me reproche des choses auxquelles je n'ai jamais pensé; mais d'un autre je le souffrirais avec moins de peine, et comme je croirais devoir le souffrir.

Ce discours est insensé; car au lieu de considérer la vertu de patience et ce qui doit la couronner, c'est regarder seulement à l'injure et à la personne de qui on l'a reçue.

 

3.Celui-là n'a pas la vraie patience qui ne veut souffrir qu'autant qu'il lui plaît et de qui il lui plaît.

L'homme vraiment patient n'examine point qui l'éprouve, si c'est son supérieur, son égal ou son inférieur, un homme de bien ou un méchant.

Mais, indifférent sur les créatures, il reçoit de la main de Dieu, avec reconnaissance et aussi souvent qu'il le veut, tout ce qui lui arrive de contraire, et l'estime un grand gain.

Car Dieu ne laissera sans récompense aucune peine, même la plus légère, qu'on aura soufferte pour lui.

 

4.Soyez donc prêt au combat si vous voulez remporter la victoire.

On ne peut obtenir sans combat la couronne de la patience; et refuser de combattre, c'est refusé d'être couronné.

Si vous désirez la couronne, combattez courageusement, souffrez avec patience.

On ne parvient pas au repos sans travail, ni sans combat à la victoire.

 

5.Le fidèle: Seigneur, que ce qui paraît impossible à la nature me devienne possible par votre grâce.

J'ai, vous le savez, peu de force pour souffrir; la moindre adversité m'abat aussitôt.

Faites que j'aime, que je désire d'être exercé, affligé pour votre nom, car subir l'injure

et souffrir pour vous est très salutaire à mon âme.

 

20. De l'aveu de son infirmité, et des misères de cette vie

 

1.Le fidèle: Je confesserai contre moi mon injustice, je vous confesserai, Seigneur, mon infirmité.

Souvent un rien m'abat et me jette dans la tristesse.

Je me propose d'agir avec force; mais à la moindre tentation qui survient, je tombe dans une grande angoisse.

Souvent c'est la plus petite chose et la plus méprisable qui me cause une violente tentation.

Et quand je ne sens rien en moi-même et que je me crois un peu en sûreté, je me trouve quelquefois abattu par un léger souffle.

 

2.Voyez donc, Seigneur, mon impuissance et ma fragilité, que tout manifeste à vos yeux.

Ayez pitié de moi, et retirez-moi de la boue, de crainte que je n'y demeure à jamais enfoncé.

Ce qui souvent fait ma peine et ma confusion devant vous, c'est de tomber si aisément et d'être si faible contre mes passions.

Bien qu'elles ne parviennent pas à m'arracher un plein consentement, leurs sollicitations me fatiguent et me pèsent, et ce m'est un grand ennui de vivre toujours ainsi en guerre.

Je connais surtout en ceci mon infirmité, que les plus horribles imaginations s'emparent de mon esprit bien plus facilement qu'elles n'en sortent.

 

3.Puissant Dieu d'Israël, défenseur des âmes fidèles, daignez jeter un regard sur votre serviteur affligé et dans le travail, et soyez près de lui pour l'aider en tout ce qu'il entreprendra.

Remplissez-moi d'une force toute céleste de peur que le vieil homme, cette chair de péché qui n'est pas encore entièrement soumise à l'esprit, ne prévale et ne domine, elle contre qui nous devons combattre jusqu'au dernier soupir, dans cette vie chargée de tant de misères.

Hélas ! qu'est-ce que cette vie, assiégée de toutes parts de tribulations et de peines, environnée de pièges et d'ennemis !

Est-on délivré d'une affliction ou d'une tentation, une autre lui succède; et l'on combat même encore la première, que d'autres surviennent inopinément.

 

4.Comment peut-on aimer une vie remplie de tant d'amertume, sujette à tant de maux et de calamités ?

Comment peut-on même appeler vie ce qui engendre tant de douleurs et tant de morts ?

Et cependant on l'aime, et plusieurs y cherchent leur félicité.

On reproche souvent au monde d'être trompeur et vain; et toutefois on le quitte difficilement parce qu'on est encore dominé par les convoitises de la chair.

Certaines choses nous inclinent à aimer le monde, d'autres à le mépriser.

Le désir de la chair, le désir des yeux et l'orgueil de la vie inspirent l'amour du monde; mais les peines et les misères qui les suivent justement produisent la haine et le dégoût du monde.

 

5.Mais hélas ! le plaisir mauvais triomphe de l'âme livrée au monde: elle se repose avec délices dans l'esclavage des sens parce qu'elle ne connaît pas et n'a point goûté les suavités célestes ni le charme intérieur de la vertu.

Mais ceux qui, méprisant le monde parfaitement, s'efforcent de vivre pour Dieu sous une sainte discipline, n'ignorent point les divines douceurs promises au vrai renoncement, et voient avec clarté combien le monde, abusé par des illusions diverses, s'égare dangereusement.

 

21. Qu'il faut établir son repos en Dieu, plutôt que dans tous les autres biens

 

1.Le fidèle: En tout et par-dessus tout, repose-toi en Dieu, ô mon âme, parce qu'il est le repos éternel des saints.

Aimable et doux Jésus, donnez-moi de me reposer en vous plus qu'en toutes les créatures; plus que dans la santé, la beauté, les honneurs et la gloire; plus que dans toute puissance et dans toute dignité; plus que dans la science, l'esprit, les richesses, les arts ; plus que dans les plaisirs et la joie, la renommée et la louange, les consolations et les douceurs, l'espérance et les promesses; plus qu'en tout mérite et en tout désir ; plus même que dans vos dons et toutes les récompenses que vous pouvez nous prodiguer ; plus que dans l'allégresse et dans les transports que l'âme peut concevoir et sentir ; plus enfin que dans les anges et dans les archanges, et dans toute l'armée des cieux; plus

qu'en toutes les choses visibles et invisibles, plus qu'en tout ce qui n'est pas vous, ô mon Dieu !

 

2.Car vous seul êtes infiniment bon, seul très haut, très puissant; vous suffisez seul, parce que seul vous possédez et vous donnez tout, vous seul nous consolez par vos douceurs inexprimables; seul vous êtes toute beauté, tout amour; votre gloire s'élève au-dessus de toute gloire, votre grandeur au-dessus de toute grandeur ; la perfection de tous les biens ensemble est en vous, Seigneur mon Dieu, y a toujours été, y sera toujours.

Ainsi, tout ce que vous me donnez hors de vous, tout ce que vous me découvrez de vous-même, tout ce que vous m'en promettez est trop peu et ne me suffit pas, si je ne vous vois, si je ne vous possède pleinement.

Car mon coeur ne peut avoir de vrai repos ni être entièrement rassasié jusqu'à ce que, s'élevant au-dessus de tous vos dons et de toute créature, il se repose uniquement en vous.

 

3.Tendre époux de mon âme, pur objet de son amour, ô mon Jésus, Roi de toutes les créatures ! qui me délivrera de mes liens, qui me donnera des ailes pour voler vers vous et me reposer en vous ?

Oh ! quand serai-je assez dégagé de la terre pour voir, Seigneur mon Dieu, et pour goûter combien vous êtes doux ?

Quand serai-je tellement absorbé en vous, tellement pénétré de votre amour, que je ne me sente plus moi-même et que je ne vive plus que de vous, dans cette union ineffable et au-dessus des sens, que tous ne connaissent pas ?

Maintenant, je ne sais que gémir et je porte avec douleur ma misère.

Car en cette vallée de larmes, il se rencontre bien des maux, qui me troublent, m'affligent et couvrent mon âme comme d'un nuage. Souvent ils me fatiguent et me retardent; ils s'emparent de moi; ils m'arrêtent et, m'ôtant près de vous un libre accès, ils me privent de ces délicieux embrassements dont jouissent toujours et sans obstacle les célestes esprits.

Soyez touché de mes soupirs et de ma désolation sur la terre !

 

4.Ô Jésus, splendeur de l'éternelle gloire, consolateur de l'âme exilée ! ma bouche est muette devant vous et mon silence vous parle.

Jusqu'à quand mon Seigneur tardera-t'il de venir ?

Qu'il vienne à ce pauvre qui est à lui et qu'il lui rende la joie. Qu'il étende la main pour relever un malheureux plongé dans l'angoisse.

Venez, venez, car sans vous, tous les jours, toutes les heures s'écoulent dans la tristesse, parce que vous êtes seul ma joie, et que vous pouvez seul remplir le vide de mon coeur.

Je suis oppressé de misère, et comme un prisonnier chargé de fers, jusqu'à ce que, me ranimant par la lumière de votre présence, vous me rendiez la liberté et jetiez sur moi un regard d'amour.

 

5.Que d'autres cherchent, au lieu de vous, tout ce qu'ils voudront; pour moi, rien ne me plaît ni ne me plaira jamais que vous, ô mon Dieu ! mon espérance, mon salut éternel !

Je ne me tairai point, je ne cesserai point de prier jusqu'à ce que votre grâce revienne et que vous me parliez intérieurement.

 

6.Jésus-Christ: Me voici, je viens à vous parce que vous m'avez invoqué. Vos larmes et le désir de votre âme, le brisement de votre coeur humilié m'ont fléchi et ramené à vous.

 

7.Le fidèle: Et j'ai dit: Seigneur, je vous ai appelé et j'ai désiré jouir de vous, prêt à rejeter pour vous tout le reste.

Et c'est vous qui m'avez incité le premier à vous chercher.

Soyez donc béni, Seigneur, d'avoir usé de cette bonté envers votre serviteur selon votre infinie miséricorde.

Que peut-il vous dire encore et que lui reste-t'il, qu'à s'humilier profondément en votre présence, plein du souvenir de son néant et de son iniquité ? Car il n'est rien de semblable à vous dans tout ce que le ciel et la terre renferment de plus merveilleux.

Vos oeuvres sont parfaites, vos jugements véritables, et l'univers est régi par votre providence.

Louange donc et gloire à vous, ô sagesse du Père ! Que mon âme, que ma bouche, que toutes les créatures ensemble vous louent et vous bénissent à jamais.

 

22. Du souvenir des bienfaits de Dieu

 

1.Le fidèle: Seigneur ! ouvrez mon coeur à votre loi, et enseignez-moi à marcher dans la voie de vos commandements.

Faites que je connaisse votre volonté et que je rappelle dans mon souvenir, avec un grand respect et une sérieuse attention, tous vos bienfaits, afin de vous en rendre de dignes actions de grâces.

Je sais cependant et je confesse que je ne puis reconnaître dignement la moindre de vos faveurs.

Je suis au-dessous de tous les biens que vous m'avez accordés; et quand je considère votre élévation infinie, mon esprit s'abîme dans votre grandeur.

 

2.Tout ce que nous avons en nous, dans notre corps, dans notre âme, tout ce que nous possédons et au-dedans et au-dehors, dans l'ordre de la grâce ou de la nature, c'est vous qui nous l'avez donné; et vos bienfaits nous rappellent sans cesse votre bonté, votre tendresse, l'immense libéralité dont vous usez envers nous, vous de qui viennent tous les biens.

Car tout vient de vous, quoique l'un reçoive plus, l'autre moins; et sans vous nous serions à jamais privés de tout bien.

Celui qui a reçu davantage ne peut se glorifier de son mérite, ni s'élever au-dessus des autres, ni insulter celui qui a moins reçu; car celui-là est le meilleur et le plus grand, qui s'attribue le moins, et qui rend grâces avec plus de ferveur et d'humilité.

Et celui qui se croit le plus vil et le plus indigne de tous est le plus propre à recevoir de grands dons.

 

3.Celui qui a moins reçu ne doit ni s'affliger, ni se plaindre, ni concevoir de l'envie contre ceux qui ont reçu davantage, mais plutôt ne regarder que vous et louer de toute son âme votre bonté, toujours prête à répandre ses dons si abondamment, si gratuitement, sans acception de personnes.

Tout vient de vous et ainsi vous devez être loué de tout.

Vous savez ce qu'il convient de donner à chacun, pourquoi celui-ci reçoit plus, cet autre moins; ce n'est pas à nous qu'appartient ce discernement, mais à vous qui pesez tous les mérites.

 

4.C'est pourquoi, Seigneur mon Dieu, je regarde comme une grâce singulière que vous m'ayez accordé peu de ces dons qui paraissent au-dehors et qui attirent les louanges et l'admiration des hommes. Et certes, en considérant son indigence et son abjection, loin d'en être abattu, loin d'en concevoir aucune peine, aucune tristesse, on doit plutôt sentir une douce consolation, une grande joie; car vous avez choisi, mon Dieu, pour vos amis et vos serviteurs les pauvres, les humbles, ceux que le monde méprise.

Tels étaient vos apôtres mêmes, que vous avez établis princes sur toute la terre.

Ils ont passé dans ce monde sans se plaindre, purs de tout artifice et de la pensée même du mal, si simples et si humbles qu'ils se réjouissaient de souffrir les outrages pour votre nom, et qu'ils embrassaient avec amour tout ce que le monde abhorre.

 

5.Rien ne doit causer tant de joie à celui qui vous aime et qui connaît le prix de vos bienfaits, que l'accomplissement de votre volonté et de vos desseins éternels sur lui.

Il doit y trouver un contentement, une consolation telle, qu'il consente aussi volontiers à être le plus petit, que d'autres désirent avec ardeur d'être les plus grands ; qu'il soit aussi tranquille, aussi satisfait dans la dernière place que dans la première ; et que, toujours prêt à souffrir le mépris, les rebuts, il s'estime aussi heureux d'être sans nom, sans réputation, que les autres de jouir des honneurs et des grandeurs du monde.

Car votre volonté et le zèle de votre gloire doivent être pour lui au-dessus de tout, et lui plaire et le consoler plus que tous les dons que vous lui avez faits, et que vous pouvez lui faire encore.

 

23. De quatre choses importantes pour conserver la paix

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, je vous enseignerai maintenant la voie de la paix et de la vraie liberté.

 

2.Le fidèle: Faites, Seigneur, ce que vous dites; car il m'est doux de vous entendre.

 

3.Jésus-Christ: Appliquez-vous, mon fils, à faire plutôt la volonté d'autrui que la vôtre.

Choisissez toujours d'avoir moins que plus.

Cherchez toujours la dernière place, et à être au-dessous de tous.

Désirez toujours et priez que la volonté de Dieu s'accomplisse parfaitement en vous.

Celui qui agit ainsi est dans la voie de la paix et du repos.

 

4.Le fidèle: Seigneur, ces courts préceptes renferment une grande perfection.

Ils contiennent peu de paroles; mais elles sont pleines de sens, et abondantes en fruits.

Si j'étais fidèle à les observer, je ne tomberais pas si aisément dans le trouble.

Car toutes les fois qu'il m'arrive de perdre le calme et la paix, je reconnais que je me suis écarté de ces maximes.

Mais vous qui pouvez tout, et qui désirez toujours le progrès des âmes, augmentez en moi votre grâce, afin qu'en obéissant à ce que vous commandez, je puisse accomplir mon salut.

 

5.Prière pour obtenir d'être délivré des mauvaises pensées.

Seigneur mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi. Mon Dieu, hâtez-vous de me secourir, car une foule de pensées diverses m'ont assailli et de grandes terreurs agitent mon âme.

Comment traverserai-je tant d'ennemis sans recevoir de blessures ? Comment les renverserai-je ?

 

6.Je marcherai devant vous, dit le Seigneur, et j'abattrai les puissants de la terre.

J'ouvrirai les portes de la prison, et je vous montrerai les issues les plus secrètes.

 

7.Faites, Seigneur, selon votre parole; et que toutes les pensées mauvaises fuient devant vous.

Mon unique espérance, ma seule consolation dans les maux qui me pressent est de me réfugier vers vous, de me confier en vous, de vous invoquer du fond de mon coeur et d'attendre avec patience votre secours.

 

8.Prière pour demander à Dieu la lumière.

Eclairez-moi intérieurement, ô bon Jésus ! Faites luire votre lumière dans mon coeur et dissipez toutes ses ténèbres.

Arrêtez mon esprit qui s'égare et brisez la violence des tentations qui me pressent.

Déployez pour moi votre bras et domptez ces bêtes furieuses, ces convoitises dévorantes, afin que je trouve la paix dans votre force et que sans cesse vos louanges retentissent dans votre sanctuaire, dans une conscience pure.

Commandez aux vents et aux tempêtes; dites à la mer: Apaise-toi; à l'aquilon: Ne souffle point, et il se fera un grand calme.

 

9.Envoyez votre lumière et votre vérité pour qu'elles luisent sur la terre; car je ne suis qu'une terre stérile et ténébreuse jusqu'à ce que vous m'éclairiez.

Répandez votre grâce d'en haut, versez sur mon coeur la rosée céleste, épanchez sur cette terre aride les eaux fécondes de la piété, afin qu'elle produise des fruits bons et salutaires.

Relevez mon âme abattue sous le poids de ses péchés, transportez tous mes désirs au ciel, afin qu'ayant trempé mes lèvres à la source des biens éternels, je ne puisse plus sans dégoût penser aux choses de la terre.

 

10.Enlevez-moi, détachez-moi de toutes les fugitives consolations des créatures, car nul objet créé ne peut satisfaire ni rassasier pleinement mon coeur.

Unissez-moi à vous par l'indissoluble lien de l'amour, car vous suffisez seul à celui qui vous aime, et tout le reste sans vous n'est rien.

 

24. Qu'il ne faut pas s'enquérir curieusement de la conduite

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, réprimez en vous la curiosité et ne vous troublez point de vaines sollicitudes.

Que vous importe ceci ou cela ? Suivez-moi.

Que vous fait ce qu'est celui-ci, comment parle ou agit celui-là ?

Vous n'avez point à répondre des autres ; mais vous répondrez pour vous-même ; de quoi vous inquiétez-vous ?

Voilà que je connais tous les hommes : je vois tout ce qui se passe sous le soleil ; je sais ce qu'il en est de chacun, ce qu'il pense, ce qu'il veut, et où tendent ses vues.

C'est donc à moi qu'on doit tout abandonner. Pour vous, demeurez en paix et laissez ceux qui s'agitent, s'agiter tant qu'ils voudront.

Tout ce qu'ils feront, tout ce qu'ils diront viendra sur eux, car ils ne peuvent me tromper.

 

2.Ne poursuivez pas cette ombre qu'on appelle un grand nom; ne désirez ni de nombreuses liaisons, ni l'amitié particulière d'aucun homme.

Car tout cela dissipe l'esprit et obscurcit étrangement le coeur.

Je me plairais à vous faire entendre ma parole et à vousrévéler mes secrets si vous étiez, quand je viens à vous, toujours attentif et prêt à m'ouvrir la porte de votre coeur.

Songez à l'avenir, veillez, priez sans cesse, et humiliez-vous en toutes choses.

 

25. En quoi consiste la vraie paix et le véritable progrès de l'âme

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, j'ai dit: Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, non comme le monde la donne.

Tous désirent la paix; mais tous ne cherchent pas ce qui procure une paix véritable.

Ma paix est avec ceux qui sont doux et humbles de coeur. Votre paix sera dans une grande patience.

Si vous m'écoutez et si vous obéissez à ma parole, vous jouirez d'une profonde paix.

 

2.Le fidèle: Seigneur, que ferai-je donc ?

3.Jésus-Christ : En toutes choses, veillez à ce que vous faites et à ce que vous dites.

N'ayez d'autre intention que celle de plaire à moi seul. Ne désirez, ne recherchez rien hors de moi.

Ne jugez point témérairement des paroles ou des actions des autres; ne vous ingérez point dans ce qui n'est pas commis à votre charge; alors vous serez peu ou rarement troublé.

Mais ne sentir jamais aucun trouble, n'éprouver aucune peine de coeur, aucune souffrance du corps, cela n'est pas de la vie présente; c'est l'état de l'éternel repos.

Ne croyez donc pas avoir trouvé la véritable paix, lorsqu'il ne vous arrive aucune contrariété; ni que tout soit bien, quand vous n'essuyez d'opposition de personne ; ni que votre bonheur soit parfait, lorsque tout réussit selon vos désirs.

Gardez-vous aussi de concevoir une haute idée de vous-même et d'imaginer que Dieu vous chérit particulièrement, si vous sentez votre coeur rempli d'une piété tendre et douce ; car ce n'est pas en cela qu'on reconnaît celui qui aime vraiment la vertu, ni en cela que consiste le progrès de l'homme et sa perfection.

 

4.Le fidèle : En quoi donc, Seigneur ?

5.Jésus-Christ : A vous offrir de tout votre coeur à la volonté divine; à ne vous rechercher en aucune chose, ni petite, ni grande, ni dans le temps ni dans l'éternité ; de sorte que, regardant du même oeil et pesant dans la même balance les biens et les maux, vous m'en rendiez également grâces.

Et ce n'est pas tout ; il faut encore que vous soyez si ferme, si constant dans l'espérance, que, privé intérieurement de toute consolation, vous prépariez votre coeur à de plus dures épreuves, sans jamais vous justifier vous-même comme si vous ne méritiez pas de tant souffrir, mais reconnaissant au contraire ma justice et louant ma sainteté dans tout ce que j'ordonne.

Alors vous marcherez dans la voie droite, dans la véritable voie de la paix, et vous pourrez avec assurance espérer de revoir mon visage dans l'allégresse.

Que si vous parvenez à un parfait mépris de vous-même, je vous le dis, vous jouirez d'une paix aussi profonde qu'il est possible en cette vie d'exil.

 

26. De la liberté du coeur, qui s'acquiert plutôt par la prière que par la lecture

 

1.Le fidèle : Seigneur, c'est une haute perfection de ne jamais détourner des choses du ciel les regards de son coeur, de passer au milieu des soins du monde sans se préoccuper d'aucun soin, non par indolence, mais par le privilège d'une âme libre, qu'aucune affection déréglée n'attache à la créature.

 

2.Je vous en conjure, ô Dieu de bonté ! délivrez-moi des soins de cette vie, de peur qu'ils ne retardent ma course; des nécessités du corps, de peur que la volupté ne me séduise ; de tout ce qui arrête et trouble l'âme, de peur que l'affliction ne me brise et ne m'abatte.

Je ne parle point des choses que la vanité humaine recherche avec tant d'ardeur, mais de ces misères qui, par une suite de la malédiction commune à tous les enfants d'Adam, tourmentent et appesantissent l'âme de votre serviteur, et l'empêchent de jouir autant qu'il voudrait de la liberté de l'esprit.

 

3.Ô mon Dieu ! douceur ineffable, changez pour moi en amertume toute consolation de la chair, qui me détourne de l'amour des biens éternels, et m'attire et me fascine par le charme funeste du plaisir présent.

Que je ne sois pas, mon Dieu, vaincu par la chair et le sang, trompé par le monde et sa gloire qui passe; que je ne succombe point aux ruses du démon.

Donnez-moi la force pour résister, la patience pour souffrir, la constance pour persévérer.

Donnez-moi, au lieu de toutes les consolations du monde, la délicieuse onction de votre esprit, et au lieu de l'amour terrestre, pénétrez-moi de l'amour de votre nom.

 

4.Le boire, le manger, le vêtement et les autres choses nécessaires pour soutenir le corps, sont à charge à une âme fervente.

Faites que j'use de ces soulagements avec modération et que je ne les recherche point avec trop de désir.

Les rejeter tous, cela n'est pas permis, parce qu'il faut soutenir la nature; mais votre loi sainte défend de rechercher tout ce qui est au-delà du besoin et ne sert qu'à flatter les sens; autrement la chair se révolterait contre l'esprit.

Que votre main, Seigneur, me conduise entre ces deux extrêmes, afin qu'instruit par vous je me préserve de tout excès.

 

27. Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui empêche l'homme de parvenir au souverain bien

 

1.Jésus-Christ : Il faut, mon fils, que vous vous donniez tout entier pour posséder tout, et que rien en vous ne soit à vous-même.

Sachez que l'amour de vous-même vous nuit plus qu'aucune chose du monde.

On tient à chaque chose plus ou moins, selon la nature de l'affection, de l'amour qu'on a pour elle.

Si votre amour est pur, simple et bien réglé, vous ne serez esclave d'aucune chose.

Ne désirez point ce qu'il ne vous est pas permis d'avoir; renoncez à ce qui occupe trop votre âme et la prive de sa liberté.

Il est étrange que vous ne vous abandonniez pas à moi du fond du coeur, avec tout ce que vous pouvez désirer ou posséder.

 

2.Pourquoi vous consumer d'une vaine tristesse ? Pourquoi vous fatiguer de soins superflus ?

Demeurez soumis à ma volonté et rien ne pourra vous nuire.

Si vous cherchez ceci ou cela, si vous voulez être ici ou là, sans autre objet que de vous satisfaire ou de vivre plus selon votre gré, vous n'aurez jamais de repos et jamais vous ne serez libre d'inquiétude, parce qu'en tout vous trouverez quelque chose qui vous blesse, et partout quelqu'un qui vous contrarie.

 

3.A quoi sert donc de posséder et d'accumuler beaucoup de choses au-dehors ? Ce qui sert, c'est de les mépriser et de les déraciner de son coeur.

Et n'entendez pas ceci uniquement de l'argent et des richesses, mais encore de la poursuite des honneurs et du désir des vaines louanges, toutes choses qui passent avec le monde.

Nul lieu n'est un sûr refuge si l'on manque de l'esprit de ferveur; et cette paix qu'on cherche au-dehors ne durera guère si le coeur est privé de son véritable appui, c'est-à-dire si vous ne vous appuyez pas sur moi. Vous changerez, et ne serez pas mieux.

Car entraîné par l'occasion qui naîtra, vous trouverez ce que vous aurez fui, et pis encore.

 

4.Prière pour obtenir la pureté du coeur et la sagesse céleste.

Le fidèle : Soutenez-moi, Seigneur, par la grâce de l'Esprit-Saint.

Fortifiez-moi intérieurement de votre vertu, afin que je bannisse de mon coeur toutes les sollicitudes vaines qui le tourmentent, et que je ne sois emporté par le désir d'aucune chose ou précieuse ou méprisable, mais plutôt qu'appréciant toutes choses ce qu'elles sont, je voie qu'elles passent et que je passerai aussi avec elles : Car il n'y a rien de stable sous le soleil ; et tout est vanité et affliction d'esprit. Oh ! qu'il est sage, celui qui juge ainsi !

 

5.Donnez-moi, Seigneur, la sagesse céleste, afin que j'apprenne à vous chercher et à vous trouver, à vous goûter et à vous aimer par-dessus tout, et à ne compter tout le reste que pour ce qu'il est, selon l'ordre de votre sagesse.

Donnez-moi la prudence pour m'éloigner de ceux qui me flattent, et la patience pour supporter ceux qui s'élèvent contre moi.

Car c'est une grande sagesse de ne se point laisser agiter à tout vent de paroles et de ne point prêter l'oreille aux perfides discours des flatteurs. C'est ainsi qu'on avance sûrement dans la voie où l'on est entré.

 

28. Qu'il faut mépriser les jugements humains

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, ne vous offensez point si quelques-uns pensent mal de vous et en disent des choses qu'il vous soit pénible d'entendre.

Vous devez penser encore plus de mal de vous-même et croire que personne n'est plus imparfait que vous.

Si vous êtes retiré en vous-même, que vous importeront les paroles qui se dissipent en l'air ?

Ce n'est pas une prudence médiocre que de savoir se taire au temps mauvais et de se tourner vers moi intérieurement, sans se troubler des jugements humains.

 

2.Que votre paix ne dépende point des discours des hommes; car, qu'ils jugent de vous bien ou mal, vous n'en demeurez pas moins ce que vous êtes. Où est la véritable paix et la gloire véritable ? n'est-ce pas en moi ?

Celui qui ne désire point de plaire aux hommes et qui ne craint point de leur déplaire, jouira d'une grande paix.

De l'amour déréglé et des vaines craintes naissent l'inquiétude du coeur et la dissipation des sens.

 

29. Comment il faut invoquer et bénir Dieu dans l'affliction

 

1.Le fidèle : Que votre nom soit béni à jamais, Seigneur, qui avez voulu m'éprouver par cette peine et cette tentation.

Puisque je ne saurais l'éviter, qu'ai-je à faire que de me réfugier vers vous, pour que vous me secouriez, et qu'elle me devienne utile ?

Seigneur, voilà que je suis dans la tribulation; mon coeur malade est tourmenté par la passion qui le presse.

Et maintenant que dirai-je ? Ô Père plein de tendresse ! les angoisses m'ont environné.

Délivrez-moi de cette heure.

Mais cette heure est venue pour que vous fassiez éclater votre gloire, en me délivrant après m'avoir humilié profondément.

Daignez, Seigneur, me secourir; car, pauvre créature que je suis, que puis-je faire et où irais-je sans vous ?

Seigneur, donnez-moi la patience encore cette fois. Soutenez-moi, mon Dieu, et je ne craindrai point, quelque pesante que soit cette épreuve.

 

2.Et maintenant que dirai-je encore ? Seigneur, que votre volonté se fasse. J'ai bien mérité de sentir le poids de la tribulation.

Il faut donc que je le supporte: faites, mon Dieu, que ce soit avec patience, jusqu'à ce que la tempête passe et que le calme revienne.

Votre main toute puissante peut éloigner de moi cette tentation et en modérer la violence, afin que je ne succombe pas entièrement, comme vous l'avez déjà tant de fois fait pour moi, ô mon Dieu, ma miséricorde !

Et autant ce changement m'est difficile, autant il vous l'est peu: c'est l'oeuvre de la droite du Très-Haut.

 

30. Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre avec confiance le retour de sa grâce

 

1.Jésus-Christ: Mon fils, je suis le Seigneur, c'est moi qui fortifie au jour de la tribulation.

Venez à moi quand vous souffrirez.

Ce qui surtout éloigne de vous les consolations célestes, c'est que vous recourez trop tard à la prière.

Car avant de me prier avec instance, vous cherchez au-dehors du soulagement et une multitude de consolations.

Mais tout cela vous sert peu, et il vous faut enfin reconnaître que c'est moi seul qui délivre ceux qui espèrent en moi, et que hors de moi il n'est point de secours efficace, point de conseil utile, point de remède durable.

Mais à présent que vous commencez à respirer après la tempête, ranimez-vous à la lumière de mes miséricordes; car je suis près de vous, dit le Seigneur, pour vous rendre tout ce que vous avez perdu et beaucoup plus encore.

 

2.Y-a-t'il rien qui me soit difficile ? ou serais-je semblable à ceux qui disent et ne font pas ?

Où est votre foi ? Demeurez ferme et persévérez.

Ne vous lassez point, prenez courage; la consolation viendra en son temps.

Attendez-moi, attendez: Je viendrai, et je vous guérirai.

Ce qui vous agite est une tentation et ce qui vous effraie est une crainte vaine.

Que vous revient-il de ces soucis d'un avenir incertain, sinon tristesse sur tristesse ? A chaque jour suffit son mal.

Quoi de plus insensé, de plus vain, que de se réjouir ou de s'affliger de choses futures qui n'arriveront peut-être jamais !

 

3.C'est une suite de la misère humaine d'être le jouet de ces imaginations et la marque d'une âme encore faible, de céder si aisément aux suggestions de l'ennemi.

Car peu lui importe de nous séduire et de nous tromper par des objets réels ou par de fausses images, et de nous vaincre par l'amour des biens présents ou par la crainte des maux à venir.

Que votre coeur donc ne se trouble point, et ne craigne point.

Croyez en moi, et confiez-vous en ma miséricorde.

Quand vous croyez être loin de moi, souvent c'est alors que je suis le plus près de vous.

Lorsque vous croyez tout perdu, ce n'est souvent que l'occasion d'un plus grand mérite.

Tout n'est pas perdu, quand le succès ne répond pas à vos désirs.

Vous ne devez pas juger selon le sentiment présent ni vous abandonner à aucune affliction, quelle qu'en soit la cause, et vous y enfoncer comme s'il ne vous restait nulle espérance d'en sortir.

 

4.Ne pensez pas que je vous aie tout à fait délaissé lorsque je vous afflige pour un temps, ou que je vous retire mes consolations; car c'est ainsi qu'on parvient au royaume des cieux.

Et certes, il vaut mieux pour vous et pour tous mes serviteurs être exercés par des traverses, que de n'éprouver jamais aucune contrariété.

Je connais le secret de votre coeur et je sais qu'il est utile pour votre salut que vous soyez quelquefois dans la sécheresse, de crainte qu'une ferveur continue ne vous porte à la présomption et que par une vaine complaisance en vous-même, vous ne vous imaginiez être ce que vous n'êtes pas.

Ce que j'ai donné, je puis l'ôter et le rendre quand il me plaît.

 

5.Ce que je donne est toujours à moi; ce que je reprends n'est point à vous, car c'est de moi que découle tout bien et tout don parfait.

Si je vous envoie quelque peine et quelque contradiction, n'en murmurez pas, et que votre coeur ne se laisse point abattre; car je puis en un moment vous délivrer de ce fardeau et changer votre tristesse en joie.

Et lorsque j'en use ainsi avec vous, je suis juste et digne de toute louange.

 

6.Si vous jugez selon la sagesse et la vérité, vous ne devez jamais vous affliger avec tant d'excès dans l'adversité, mais plutôt vous en réjouir et m'en rendre grâces.

Et même ce doit être votre unique joie que je vous frappe sans vous épargner.

Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous aime, ai-je dit à mes disciples en les envoyant, non pour goûter les joies du monde, mais pour soutenir de grands combats ; non pour posséder les honneurs, mais pour souffrir les mépris; non pour vivre dans l'oisiveté, mais dans le travail; non pour se reposer, mais pour porter beaucoup de fruits par la patience. Souvenez-vous, mon fils, de ces paroles.

 

31. Qu'il faut oublier toutes les créatures pour trouver le Créateur

 

1.Le fidèle : Seigneur, j'ai besoin d'une grâce plus grande, s'il me faut parvenir à cet état où nulle créature ne sera un lien pour moi.

Car, tant que quelque chose m'arrête, je ne puis voler librement vers vous.

Il aspirait à cette liberté, celui qui disait: Qui me donnera des ailes comme à la colombe ? et je volerai et je me reposerai.

Quel repos plus profond que le repos de l'homme qui n'a que vous en vue ? et quoi de plus libre que celui qui ne désire rien sur la terre ?

Il faut donc s'élever au-dessus de toutes les créatures, se détacher parfaitement de soi-même, sortir de son esprit, monter plus haut, et là reconnaître que c'est vous qui avez tout fait, et que rien n'est semblable à vous.

Tandis qu'on tient encore à quelque créature, on ne saurait s'occuper librement des choses de Dieu.

Et c'est pourquoi l'on trouve peu de contemplatifs, parce que peu savent se séparer entièrement des créatures et des choses périssables.

 

2.Il faut pour cela une grâce puissante qui soulève l'âme et la ravisse au-dessus d'elle-même.

Et tant que l'homme n'est pas élevé ainsi en esprit, détaché de toute créature, et parfaitement uni à Dieu, tout ce qu'il sait et tout ce qu'il a est de bien peu de prix.

Il sera longtemps faible et incliné vers la terre, celui qui estime quelque chose hors de l'unique, de l'immense, de l'éternel bien.

Tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien, et ne doit être compté pour rien.

Il y a une grande différence entre la sagesse d'un homme que la piété éclaire et la science qu'un docteur acquiert par l'étude.

La science qui vient d'en haut et que Dieu lui-même répand dans l'âme, est bien supérieure à celle où l'homme parvient laborieusement par les efforts de son esprit.

 

3.Plusieurs désirent s'élever à la contemplation; mais ce qu'il faut pour cela, ils ne le veulent point faire.

Le grand obstacle est qu'on s'arrête à ce qu'il y a d'extérieur et de sensible, et que l'on s'occupe peu de se mortifier véritablement.

Je ne sais ce que c'est, ni quel esprit nous conduit, ni ce que nous prétendons, nous qu'on regarde comme des hommes tout spirituels, de poursuivre avec tant de travail et de souci des choses viles et passagères, lorsque si rarement nous nous recueillons pour penser sans aucune distraction à notre état intérieur.

 

4.Hélas ! à peine sommes-nous rentrés en nous-mêmes que nous nous hâtons d'en sortir, sans jamais sérieusement examiner nos oeuvres.

Nous ne considérons point jusqu'où descendent nos affections et nous ne gémissons point de ce que tout en nous est impur.

Toute chair avait corrompu sa voie; et c'est pourquoi le déluge suivit.

Quand donc nos affections intérieures sont corrompues, elles corrompent nécessairement nos actions et dévoilent ainsi toute la faiblesse de notre âme.

Les fruits d'une bonne vie ne croissent que dans un coeur pur.

 

5.On demande d'un homme: Qu'a-t'il fait ? Mais s'il l'a fait par vertu, c'est à quoi l'on regarde bien moins.

On veut savoir s'il a du courage, des richesses, de la beauté, de la science, s'il écrit ou s'il chante bien, s'il est habile dans sa profession; mais on ne s'informe guère s'il est humble, doux, patient, pieux, intérieur.

La nature ne considère que le dehors de l'homme; la grâce pénètre au-dedans.

Celle-là se trompe souvent; celle-ci espère en Dieu pour n'être pas trompée.

 

32. De l'abnégation de soi-même

 

1.Jésus-Christ : Mon fils, vous ne pouvez jouir d'une liberté parfaite si vous ne vous renoncez entièrement.

Ils vivent en servitude tous ceux qui s'aiment et qui veulent être à eux-mêmes. On les voit avides, curieux, inquiets, cherchant toujours ce qui flatte leurs sens et non ce qui me plaît, se repaître d'illusions et former mille projets qui se dissipent.

Car tout ce qui ne vient pas de Dieu périra.

Retenez bien cette courte et profonde parole: Quittez tout, et vous trouverez tout.

Renoncez à vos désirs, et vous goûterez le repos.

Méditez ce précepte, et quand vous l'aurez accompli, vous saurez tout.

 

2.Le fidèle: Seigneur, ce n'est pas l'oeuvre d'un jour, ni un jeu d'enfants; cette courte maxime renferme toute la perfection religieuse.

 

3.Jésus-Christ: Mon fils, vous ne devez point vous rebuter ni perdre courage lorsqu'on vous montre la voix des parfaits, mais plutôt vous efforcer de parvenir à cet état sublime, ou au moins y aspirer de tous vos désirs.

Ah ! s'il en était ainsi de vous ! si vous en étiez venu jusqu'à ne plus vous aimer vous-même, soumis à moi sans réserve, et au supérieur que je vous ai donné, alors j'arrêterais sur vous mes regards avec complaisance et tous vos jours passeraient dans la paix et dans la joie.

Il vous reste encore bien des choses à quitter, et à moins que vous n'y renonciez entièrement pour moi, vous n'obtiendrez point ce que vous demandez.

Ecoutez mes conseils et, pour acquérir de vraies richesses, achetez de moi l'or éprouvé par le feu, c'est-à-dire la sagesse céleste qui foule aux pieds toutes les choses d'ici-bas.

Qu'elle vous soit plus chère que la sagesse du siècle et que tout ce qui plaît aux hommes ou nous plaît en nous-mêmes.

 

4.Je vous le dis: échangez ce qu'il y a de grand et de précieux dans les choses humaines contre une chose vile.

Car on regarde comme petite et vile, et l'on oublie presque entièrement cette sagesse du ciel, la seule vraie, qui ne s'élève point en elle-même et qui ne cherche point à être admirée sur la terre. Plusieurs ont ses louanges à la bouche: mais ils s'éloignent d'elle par leur vie. C'est cependant cette perle précieuse qui est cachée au plus grand nombre.

 

33. De l'inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter à Dieu comme à notre dernière fin

 

1.Mon fils, ne vous reposez point sur ce que vous sentez en vous; maintenant vous êtes affecté d'une certaine manière, vous le serez d'une autre le moment d'après.

Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, même malgré vous; tour à tour triste et gai, tranquille et inquiet, fervent et tiède; tantôt actif, tantôt paresseux, tantôt grave, tantôt léger.

Mais l'homme sage et instruit dans les voies spirituelles s'élève au-dessus de ces vicissitudes. Il ne considère point ce qu'il éprouve en soi, ni de quel côté l'incline le vent de l'inconstance; mais il arrête toute son attention sur la fin bienheureuse à laquelle il doit tendre.

C'est ainsi qu'au milieu de tant de mouvements divers, fixant sur moi seul ses regards, il demeure inébranlable et toujours le même.

 

2.Plus l'oeil de l'âme est pur et son intention droite, moins on est agité par les tempêtes.

Mais cet oeil s'obscurcit en plusieurs, parce qu'il se tourne vers chaque objet agréable qui se présente.

Car il est rare de trouver quelqu'un tout à fait exempt de la honteuse recherche de soi-même.

Ainsi autrefois les Juifs vinrent à Béthanie chez Marthe et Marie, non pour Jésus seul, mais pour voir Lazare.

Il faut donc purifier l'intention afin que, simple et droite, elle se dirige constamment vers moi, sans s'arrêter jamais aux objets inférieurs.

 

34. Qu'on ne saurait goûter que Dieu seul, et qu'on le goûte en toutes choses, quand on l'aime véritablement

 

1.Le fidèle : Voilà mon Dieu et mon tout ! Que voudrai-je de plus ? et quelle plus grande félicité puis-je désirer ?

Ô ravissante parole ! mais pour celui qui aime Jésus, et non pas le monde, ni rien de ce qui est du monde.

Mon Dieu et mon tout, c'est assez dire à qui l'entend, et le redire sans cesse est doux à celui qui aime.

Vous présent, tout est délectable; en votre absence, tout devient amer.

Vous donnez au coeur le repos, et une profonde paix, et une joie inénarrable.

Vous faites que, content de tout, on vous bénit de tout. Au contraire, rien sans vous ne peut plaire longtemps, et rien n'a d'attrait ni de douceur sans l'impression de votre grâce et l'onction de votre sagesse.

 

2.Que ne goûtera point celui qui vous goûte, et que trouvera d'agréable celui qui ne vous goûte point ?

Les sages du monde, qui n'ont de goût que pour les voluptés de la chair, s'évanouissent dans leur sagesse, car on ne trouve là qu'un vide immense, que la mort.

Mais ceux qui, pour vous suivre, méprisent le monde et mortifient la chair, se montrent vraiment sages, car ils quittent le mensonge pour la vérité, et la chair pour l'esprit.

Ceux-là savent goûter Dieu; et tout ce qu'ils trouvent de bon dans les créatures, ils le rapportent à la louange du Créateur.

Rien pourtant ne se ressemble moins que le goût du Créateur et celui de la créature, du temps et de l'éternité, de la lumière incréée et de celle qui n'en est qu'un faible reflet.

 

3.Ô lumière éternelle ! infiniment élevée au-dessus de toute lumière créée, qu'un de vos rayons, tel que la foudre, parte d'en haut et pénètre jusqu'au fond le plus intime de mon coeur.

Purifiez, dilatez, éclairez, vivifiez mon âme et toutes ses puissances, pour qu'elle s'unisse à vous dans des transports de joie.

Oh ! quand viendra cette heure heureuse, cette heure désirable où vous me rassasierez de votre présence, où vous me serez tout en toutes choses ?

Jusque-là je n'aurai point de joie parfaite.

Hélas ! le vieil homme vit encore en moi: il n'est pas tout crucifié, il n'est pas mort entièrement.

Ses convoitises combattent encore fortement contre l'esprit; il excite en moi des guerres intestines et ne souffre point que l'âme règne en paix.

 

4.Mais vous qui commandez à la mer et qui calmez le mouvement des flots, levez-vous, secourez-moi.

Dissipez les nations qui veulent la guerre, et brisez-les dans votre puissance.

Faites, je vous en conjure, éclater vos merveilles, et signalez la force de votre bras, car je n'ai point d'autre espérance ni d'autre refuge que vous, ô mon Dieu !

 

35. Qu'on est toujours, durant cette vie, exposé à la tentation

 

1.Jésus-Christ : Mon fils, vous n'aurez jamais de sécurité dans cette vie, mais tant que vous vivrez, les armes spirituelles vous seront toujours nécessaires.

Vous êtes environné d'ennemis: ils vous attaquent à droite et à gauche.

Si vous ne vous couvrez donc de tous côtés du bouclier de la patience, vous ne serez pas longtemps sans blessures.

Si de plus votre coeur ne se fixe pas irrévocablement en moi, avec la ferme volonté de tout souffrir pour mon amour, vous ne soutiendrez jamais la violence de ce combat, et vous n'obtiendrez point la palme des bienheureux.

Il faut donc passer à travers tous les obstacles et lever un bras tout-puissant contre tout ce qui s'oppose à vous.

Car la manne est donnée aux victorieux, et une grande misère est le partage du lâche.

 

2.Si vous cherchez le repos en cette vie, comment parviendrez-vous au repos éternel ?

Ne vous préparez pas à beaucoup de repos, mais à beaucoup de patience.

Cherchez la véritable paix, non sur la terre, mais dans le ciel; non dans les hommes ni dans aucune créature, mais en Dieu seul.

Vous devez supporter tout avec joie pour l'amour de Dieu: les travaux, les douleurs, les tentations, les persécutions, les angoisses, les besoins, les infirmités, les injures, les médisances, les reproches, les humiliations, les affronts, les corrections, le mépris.

C'est là ce qui exerce à la vertu, ce qui éprouve le nouveau soldat de Jésus-Christ, ce qui forme la couronne céleste.

Pour un court travail, je donnerai une récompense éternelle, et une gloire infinie pour une humiliation passagère.

 

3.Pensez-vous que vous aurez toujours, selon votre désir, les consolations spirituelles ?

Mes saints n'en ont pas joui constamment, mais ils ont eu beaucoup de peines, des tentations diverses, de grandes désolations.

Et se confiant plus en Dieu qu'en eux-mêmes, ils se sont soutenus par la patience au milieu de toutes ces épreuves, sachant que les souffrances du temps n'ont nulle proportion avec la gloire future qui doit en être le prix.

Voulez-vous avoir dès le premier moment ce que tant d'autres ont à peine obtenu après beaucoup de larmes et d'immenses travaux ?

Attendez le Seigneur, combattez avec courage, soyez ferme, ne craignez point, ne reculez point, mais exposez généreusement votre vie pour la gloire de Dieu.

Je vous récompenserai pleinement, et je serai avec vous dans toutes vos tribulations.