Témoignages
Du temps que j'étais jeune…..
Une enquête lancée il y a quelques années nous a révélé que plus d'un lecteur des Cahiers sur l'Oraison avait eu l'occasion au cours de son enfance, de faire l'expérience de la prière intérieure. Cette expérience serait plus répandue encore si parents et éducateurs savaient favoriser la rencontre de l'enfant avec Dieu, discrètement et sans vouloir s'immiscer dans sa prière, dans sa relation vivante et personnelle avec Dieu. D'ailleurs, cette prière se vit souvent à un niveau de profondeur tel que parents et éducateurs ne peuvent la percevoir et que l'enfant lui-même n'est pas capable de l'exprimer. Et il semble bien que celui qui fait une telle expérience dans son enfance en reste marqué toute sa vie. Voici deux témoignages parmi d'autres.
Le visiteur du soir
Le premier témoignage évoque un peu les " petites filles modèles " de nos grands-mères. Qu'on ne soit pas étonné de ce mélange d'imagination, de fantaisie et en même temps d'authentique pensée religieuse. C'est le privilège de l'enfance.
Si l'oraison consiste à " s'entretenir familièrement avec Dieu ", je peux dire que je fais oraison depuis aussi loin que je m'en souvienne, depuis le temps où, enfant, je dormais dans un petit lit à barreaux et boules de cuivre. Le théologien estimera sans doute que c'était de l'imagination et non de l'oraison. Il n'empêche que mon habitude de parler avec Dieu et de lui rendre compte de mes actes date de cette époque.
Voici comment cela se passait. Quand nous étions couchées, ma petite sœur et moi, lumières éteintes, j'imaginais que la Sainte Vierge venait en visite à la maison avec l'enfant Jésus. Et, selon la coutume, pendant que les " grandes personnes " causaient ensemble, on envoyait l'enfant Jésus jouer avec nous.
Ainsi, un enfant Jésus de notre âge venait nous voir. Je fermais les yeux en me disant : " Il est là ". Je savais que Dieu entend de partout et donc que ce n'était pas seulement une belle histoire que j'inventais. Je lui parlais, je lui racontais ce qui s'était passé dans la journée. J'étais gênée des choses que j'avais mal faites et qui, suivant la formule consacrée, devaient " lui faire de la peine ", mais il valait mieux les lui dire tout de suite et que ce soit fini ! Il y avait aussi ce que j'avais accompli " pour faire plaisir au petit Jésus " et que je lui racontais.
Dans ce mélange d'imagination et de notions vraies se formait dans la petite fille que j'étais (six ans) l'habitude d'une vie en présence de Dieu. " Dieu nous entend, me disais-je, on peut lui parler, on n'est pas perdu tout seul dans le noir et dans ce qu'on ne comprend pas ". Je découvrais ainsi une vie d'amitié avec le Christ.
Poules et hirondelles
Décidément les petites filles ont beaucoup d'imagination. Et une grande aptitude, certaines du moins, à entrer en relation avec Dieu. Ici, point d'autres maîtres à prier que les poules et les hirondelles !
Je me souviens d'une expérience précise à l'âge de quatre ans environ. C'est bien peu de chose et pourtant cela m'a influencée. Mon père m'avait fait remarquer que les poules lorsqu'elles boivent, lèvent haut la tête après chaque gorgée : " comme si elles remerciaient Dieu pour cette bonne eau ", disait-il plaisamment. " Si les poules remercient Dieu pour chaque gorgée, pensais-je intérieurement, moi aussi, je vais remercier comme elles ".
Je crois bien que mes toutes premières oraisons conscientes ont été de reconnaissance. Je vivais très libre dans une maison entourée d'un grand jardin avec le sentiment diffus de l'immensité du Créateur et de sa bonté envers les créatures et les plantes dont je ne me différenciais pas. Ce sentiment de gratitude ne m'a jamais quittée, il s'est approfondi avec les années.
Une autre expérience m'a marquée également. On m'avait dit que le Bon Dieu exauce les prières. Vers cinq ans, je désirais beaucoup avoir des ailes comme les oiseaux. Avec confiance j'ai demandé à Dieu qu'il me change en hirondelle. Le lendemain, quelle ne fut pas ma tristesse, et mon mécontentement, de constater que rien ne s'était produit. Quelque temps plus tard, en réfléchissant à cela, j'ai découvert que la vie des oiseaux est courte et que si j'avais été exaucée, je ne serais peut-être plus en vie à l'heure qu'il était. Ce jour-là, j'ai compris que Dieu n'exauce pas toujours nos prières… heureusement !
Quand Dieu parle, il ne fait pas de bruit.
On ne l'entend pas, mais on le sent. Alors l'âme bouge. (Un enfant de six ans)
A l'heure de la prière
Comment ne pas citer la page si évocatrice du père Aimé Duval, qu'un lecteur nous a envoyée accompagnée de ces quelques mots : " Plus que toutes les notions sur la prière qu'on a pu me donner dans mon enfance, ce qui m'a frappé et marqué pour toujours, comme le Père Duval, c'est le spectacle de mon père et de ma mère priant ensemble, chaque matin, avant de partir à leur travail ".
Ce qui m'émeut aujourd'hui, c'est de me souvenir de l'attitude de mon père. Lui qui était toujours fatigué par ses travaux de campagne ou de transport de bois, lui qui montrait sans honte qu'il était fatigué à son retour de travail, voilà qu'après le repas du soir, il se mettait à genoux, les coudes appuyés sur le siège d'une chaise, le front dans les mains, sans un regard pour ses enfants autour de lui, sans un mouvement, sans tousser, sans s'impatienter. Et moi je pensais : " Mon père qui est si fort, qui commande sa maison, ses deux gros bœufs, qui lest fier devant les mauvais coups du sort et si peu timide devant le maire et les riches et les malins, voilà qu'il se fait tout petit devant le Bon Dieu. Vraiment, ça le change de causer au Bon Dieu. Vraiment, le Bon Dieu doit être quelqu'un de bien grand pour que mon père s'agenouille, et de bien familier aussi pour qu'il lui cause avec ses habits de travail…. ".
Quant à ma mère, je ne l'ai jamais vue à genoux. Trop fatiguée, elle s'asseyait au milieu de la chambre, le dernier-né dans ses bras, la robe noire jusqu'aux talons, les beaux cheveux châtains déroulés sur son cou, et tous les gosses autour d'elle, appuyés contre elle. Elle suivait des lèvres les prières d'un bout à l'autre, elle ne voulait pas en perdre une miette, elle les disait pour son compte. Le plus curieux, c'est qu'elle n'arrêtait pas de nous regarder, chacun à son tour, chacun son regard. Un regard plus long sur les plus petits. Elle nous regardait, mais elle ne disait jamais rien. Même pas quand les petits remuaient ou chuchotaient, même pas quand le tonnerre claquait sur la maison, même pas quand le chat renversait une casserole. Et moi je pensais : " Vraiment, le Bon Dieu est bien gentil qu'on puisse lui causer avec un enfant dans les bras, avec son tablier de travail. Vraiment le Bon Dieu est quelqu'un d'important pour que le chat ou le tonnerre n'ait plus d'importance ".
Aimé Duval
Une grand-mère entra à l'église avec son petit garçon. Au bout de quelques minutes, elle se lève pour partir. L'enfant lui dit : " Je n'ai pas fini ". Elle attend. Lorsqu'ils sont dehors, elle demande : " Que disais-tu à Jésus ? " - " Je lui racontais l'histoire du Petit Poucet pour lui faire plaisir ".
Témoignage
Isabelle découvre le Nom de Jésus
Une religieuse nous a communiqué ce savoureux dialogue. N'est-ce pas là une première initiation à la pratique de la " prière de Jésus " ?
Une petite fille de neuf ans et demi demande avec insistance à être reçue pour quarante-huit heures dans notre monastère. Elle arrive en début d'après-midi. Une religieuse l'accueille, s'occupe d'elle et lui donne un petit travail à faire (confectionner des yeux pour des marionnettes). Toutes deux sont dans la même pièce. Au bout d'un moment, la religieuse pose une question :
- Est-ce que je peux te demander comment tu pries ?
- Oh oui !
Isabelle lui dit les prières qu'elle récite matin et soir.
- Mais tu ne parles jamais à Jésus comme à papa et maman ?
- Oh non !
- Et quand tes parents ont beaucoup de soucis, tu ne pries pas pour eux ?
- Ah oui ! alors je lui demande qu'ils sortent très vite du pétrin.
- Et dans la journée, tu penses à Jésus ?
- Ah non !
- Pourquoi ne dirais-tu pas simplement de temps en temps " Jésus " ? Si je t'appelle par ton nom, si je te dis " Isabelle ", est-ce que ça ne te fait pas plaisir ?
- Oh si ! Je vois que vous me connaissez bien.
- Pour Jésus ce serait pareil !
Elles reprennent leur travail en silence. Silence entrecoupé de temps en temps par une question. Tout est si nouveau pour Isabelle !
En fin d'après-midi, le travail achevé, la religieuse demande à Isabelle :
- As-tu pensé à Jésus ?
- Oh non ! dit-elle sur un ton de regret, de déception.
La religieuse n'insiste pas.
Le lendemain, elle ne revoit la petite fille qu'en fin de matinée. De nouveau, elle lui pose la question :
- Et Jésus ?
- Oh oui ! J'ai dit plus de quarante fois " Jésus ", chaque fois que je faisais un œil.
Les jeunes enfants et l'oraison
La grâce est en nous une participation à la nature divine : elle nous fait vivre de la vie même de Dieu. Pour vivre pleinement selon cette vie au-dessus de notre nature, il faut qu'à tout l'organisme des vertus surnaturelles, morales et théologales, ce clavier dont nous jouons nous-mêmes, s'ajoutent ces aptitudes appelées dons du Saint Esprit, qui nous permettent d'être menés directement par l'Esprit Saint. Ces dons sont comme des antennes grâce auxquelles nous captons les impulsions très ténues et délicates qui nous viennent de la part de Dieu.
Tout baptisé les possède, mais les dons n'interviennent pas également chez tous, loin de là. Ils entrent en œuvre, même chez les tièdes, aux moments très difficiles, par exemple si la gloire de Dieu est en jeu, lorsque nous avons à témoigner de notre foi (Mt 10, 19-20).
En dehors de ces circonstances exceptionnelles, certaines personnes sont plus spécialement sous le régime habituel des dons. Ce sont surtout les âmes très saintes, très avancées dans les voies de Dieu [….].
Il y a encore une autre époque privilégiée pour le libre jeu des dons, mais dans la vie de beaucoup de chrétiens, elle passe trop souvent inaperçue : avant l'âge de raison, les enfants baptisés sont fréquemment sous l'emprise de l'Esprit Saint. L'organisme des vertus en eux n'a pas atteint le niveau de son plein exercice : il leur manque encore la complète liberté du jugement, la possibilité d'apprécier la valeur objective de chaque action, mais ils sont dans la grâce neuve de leur baptême et Dieu lui-même peut œuvrer facilement en leur âme. L'Esprit les pousse alors et leur donne d'agir selon cette vie divine qu'ils ont reçue, si bien que leur jugement spirituel, leur goût des choses de Dieu, leur compréhension, l'ouverture de leur intelligence et de leur cœur, sont infiniment plus avancés dans l'ordre surnaturel que l'ordre naturel.
Quand ils seront arrivés à l'âge de raison, il leur faudra exercer patiemment, fortement et longuement toutes les vertus avant de retrouver cette familiarité avec le surnaturel, cette intuition des choses de Dieu, cette prompte docilité à la grâce que, tout petits, ils avaient si spontanément.
Un âge privilégié d'intimité avec Dieu
Les jeunes enfants mûs par le Saint Esprit ont souvent une facilité singulière pour l'oraison. C'est un âge privilégié pour cette intimité simple avec le Seigneur. Plus tard, en pleine activité scolaire, quant tout leur intérêt sera tourné vers le monde extérieur à découvrir et à transformer, ce sera une autre affaire. Chez les petits baptisés, élevés dans des familles vraiment chrétiennes, je crois pouvoir affirmer qu'entre cinq et sept ans, la grande majorité des enfants sont capables d'oraison, l'aiment et s'y trouvent bien.
D'où vient que cette assertion étonne des parents ou des éducateurs, chrétiens pourtant, et attentifs aux enfants ?
D'abord, il peut arriver qu'en réalité les enfants s'adonnent à l'oraison sans en savoir le nom. Ils se disent : " je vais me cacher derrière le grand rideau pour penser un tout petit peu à Jésus ". Et les parents ne s'en doutent guère. Il n'est pas si rare de glaner des souvenir de ce genre dans des confidences d'adultes, lorsqu'on essaie de les initier à l'oraison : " Au fond, c'est déjà ce que je faisais quand j'avais sept ans : je grimpais tout en haut du grand cèdre, pour avoir la paix, et être plus près de Jésus , et je restais longtemps là-haut, simplement content d'être près de lui…. ".
La responsabilité des adultes
Mais, en fait, beaucoup ne font pas oraison : il y en a, sans doute, qui y seraient réfractaires, mais le plus souvent, c'est la faute des adultes. Cette vieille dame me racontait : " Lorsque j'étais petite, j'aurais passé de longs moments à la chapelle avec Notre Seigneur. Et toujours la maîtresse me pourchassait : " Ne reste pas comme cela à ne rien faire, il ne faut pas flâner à l'église, ce n'est pas poli pour le Bon Dieu " (sic). Et elle concluait un peu tristement : " Si on m'avait laissé faire, il y aurait peut-être eu moins de bêtises dans ma vie et je n'aurais pas tant de difficultés maintenant à essayer de faire oraison ".
Sans aller jusqu'à ce cas limite, si on vous demandait d'aider une petite fille de six ans à faire une retraite pour préparer sa première communion, ne commenceriez-vous pas par chercher à quoi vous aller l'occuper ?
En général, c'est le principal souci. On pense d'abord à lui faire revoir son catéchisme ; puis on fait provision d'histoires, de découpages, de coloriages, toute une accumulation de distractions pieuses… et au moment où elle devra prier, on lui soufflera des prières, peut-être même lui fera-t-on apprendre des " actes " avant et après la communion - on s'efforcera de meubler le temps. Et toutes les possibilités d'oraison, de silence, d'intimité qui existent certainement dans cette âme resteront-elles latentes, enfouies [….].
Que certains procédés soient inévitables lorsqu'on a la charge d'une classe nombreuse, de tout un patronage qu'il faut mener ensemble, c'est évident. Mais dans une famille chrétienne, mais dans chaque cas où l'on a la possibilité de s'occuper personnellement des enfants, il faut être attentif à ne pas éteindre l'Esprit (1 Th 5, 19).
Il n'est pas en notre pouvoir de donner à un enfant le goût et l'attrait de l'oraison. Mais - même s'il nous paraît un peu étourdi - commençons toujours par penser que cette virtualité peut exister en lui et faisons attention à n'y pas mettre d'obstacle, et à aider son épanouissement en favorisant la liberté, la docilité aux impulsions divines.