L'oraison de simplicité
L'âme qui " commence à goûter peu à peu le silence et le repos " et à se recueillir " plus aisément ", parvient un jour à " l'oraison de simplicité ". Elle doit alors changer de méthode : " Que si, dès le commencement, en faisant son acte de Foi [l'âme] se sent un petit goût de la présence de Dieu, qu'elle en demeure là, sans se mettre en peine d'aucun sujet ni de passer outre ; et qu'elle garde ce qui lui est donné tant qu'il dure. S'il s'en va, qu'elle excite sa volonté par quelque affection tendre ; et si, dès la première affection, elle y trouve remise dans sa douce paix, qu'elle y demeure. Il faut souffler doucement le feu ; et sitôt qu'il est allumé, cesser de le souffler ; car qui voudrait encore souffler, l'éteindrait ". Durant ce temps-là, qu'elle veille bien à garder les yeux du cœur fixés sur Dieu en non sur soi.
Mais, attention, il ne s'agit pas de venir à l'oraison pour l'agrément ou les bienfaits qu'on peut y trouver, mais avec " un amour pur et sans intérêts " : " Que [l'âme] n'y aille point tant pour avoir quelque chose de Dieu que pour lui plaire et faire sa volonté. Car un serviteur qui ne sert son maître qu'à mesure qu'il le récompense est indigne d'être récompensé. Allez donc à l'Oraison non pour vouloir jouir de Dieu mais pour y être comme il veut : cela fera que vous serez égal dans les sécheresses comme dans l'abondance ".
La recommandation que l'on vient de lire est une des clés de l'ouvrage. " Ne faîtes pas comme ces personnes qui se donnent [à l'oraison] dans un temps et se reprenne en un autre. Ils se donnent pour être caressés et ils se reprennent lorsqu'ils sont crucifiés ".
L'auteur, honnêtement, prévient que l'on connaîtra parfois des " sécheresses " : Dieu " se cache souvent [à l'âme] pour réveiller sa paresse et l'obliger à le chercher avec amour et fidélité ". " On croit alors que c'est une plus grande fidélité et que c'est marquer davantage son amour que de le chercher avec effort de tête et à force d'action ". Mais c'est une erreur. Restez paisible et patient : " Vous lui ferez voir par cette manière d'agir que c'est Lui seul que vous aimez et son bon plaisir ; et non le plaisir que vous aurez à l'aimer ".
Les sécheresses sont école de confiance et d'abandon à Dieu : " C'est ici que doit commencer l'abandon et la donation de tout soi-même à Dieu ". Il importe de " se convaincre fortement que tout ce qui nous arrive de moment en moment est ordre et volonté de Dieu, et tout ce qu'il nous faut. Cette conviction nous rendra contents de tout, et nous fera regarder en Dieu, et non du côté de la créature, tout ce qui nous arrive ". Ainsi, " le cœur demeure par ce moyen toujours libre, content et dégagé ", ce qui est la disposition essentielle pour trouver Dieu.
Cette oraison, un grand moyen de conversion
Objectera-t-on que cette oraison qui souvent connaît sécheresses, distractions, épreuves ne permet pas d'avancer dans la contemplation des mystères du Christ ? C'est tout le contraire : " L'attention amoureuse à Dieu renferme toute dévotion particulière, et qui est uni à Dieu seul par son repos en Lui, est appliqué d'une manière plus excellente à tous ses mystères ".
Cette forme d'oraison est un moyen bien plus efficace que toutes les industries personnelles de progresser dans l'amour de Dieu et les vertus chrétiennes. " Toute vertu qui n'est point donnée par le dedans est un masque de vertu et comme un vêtement qui s'ôte et ne dure guère. Mais la vertu communiquée par le fond est la vertu essentielle, véritable et permanente ".
Elle est aussi le grand moyen de mortifier les sens et les passions sans cesse tournées vers les biens du dehors au profit du retour en soi-même où Dieu réside : " Si l'âme tourne toute sa vigueur et sa force au-dedans d'elle, elle se sépare des sens par cette seule action, et employant toute sa force et sa vigueur au-dedans, elle laisse les sens sans vigueur, et plus elle s'avance et s'approche de Dieu, plus elle se sépare d'elle-même ". […] " Lorsque [au cours de l'oraison] les passions s'élèvent, un petit retour au-dedans du côté de Dieu, qui est présent, les amortit avec beaucoup de facilité. Tout autre combat les irrite plutôt que de les apaiser ".
Finalement, la " conversion parfaite " qui n'est pas " du péché à la grâce " mais " du dehors au dedans " sera le fruit de cette oraison. " Il faut savoir que cela ne se fait pas par un exercice violent de la créature. Le seul exercice qu'elle peut et doit faire avec la grâce, c'est de se faire effort pour se tourner et ramasser au-dedans. Après quoi il n'y a plus rien à faire que de demeurer tourné du côté de Dieu dans une adhérence continuelle ". Car alors, et de plus en plus, s'exerce sur l'âme " la vertu attirante " de Dieu, en même temps que l'âme découvre en elle une " pente ", une " pente centrale " vers Dieu qui l'habite. " Sitôt qu'une chose est tournée du côté de son centre [l'auteur fait allusion ici à la pierre qui tombe, attirée par le centre de la terre], à moins qu'elle ne soit arrêtée par quelque obstacle invincible, elle s'y précipite avec une extrême vitesse ". De même l'âme qui se tourne ver l'intérieur " sans autre effort que le poids de l'amour, tombe peu à peu dans le centre ".