L'oraison, prière intérieure

 

 

 

 

 

 

baptême de Jésus, par Ribera
Le moyen court - 4

L'oraison de simple présence de Dieu

Voilà un plus haut degré de l'oraison du cœur : " L'Oraison de simple présence à Dieu ". L'âme sent que Dieu peu à peu s'empare entièrement d'elle. " Le silence fait toute son Oraison ; et Dieu lui donne un amour infus ". Une seule chose s'impose : " cesser l'action et l'opération propres pour laisser agir Dieu ". L'âme, qui aime tant agir, " croit ne rien faire si elle ne sent, connaît et distingue son opération ". Mais elle se trompe. " On peut dire de cette manière d'Oraison ce qui est dit de la Sagesse : que tous biens sont venus avec elle ".

Que l'âme " demeure donc fidèle en cet état et qu'elle se donne bien de garde de chercher d'autre disposition quelle qu'elle soit que son simple repos… Il n'y a rien à faire qu'à se laisser remplir de cette effusion divine ".

C'est la vie d'oraison et la vie chrétienne qui vont s'en trouver transformées. " La manière de lire en ce degré [d'oraison] est que dès que l'on sent un petit recueillement, il faut cesser et demeurer en repos, lisant peu et ne continuant pas sitôt que l'on se sent attiré au-dedans ".

Si dans la récitation de prières vocales, l'âme " se sent attirée au silence, qu'elle demeure et qu'elle ne fasse point d'effort ".

Souvent " l'âme se trouvera dans un état d'impuissance de faire des demandes à Dieu qu'elle faisait autrefois avec facilité. Cela ne la doit point surprendre car c'est alors que l'Esprit demande pour les Saints ce qui est bon, ce qui est parfait, ce qui est conforme à la volonté de Dieu. L'Esprit nous aide même dans nos faiblesses, parce que nous ne savons pas ce qu'il faut demander, ni le demander comme il faut ; mais l'Esprit même le demande pour nous avec des gémissements ineffables. Je dis plus, il faut seconder les desseins de Dieu qui sont de dépouiller l'âme de ses propres opérations pour substituer les siennes en leur place ".

S'il arrive que l'on commette une faute, " il faut se tourner au-dedans : parce que cette faute ayant détourné de Dieu, on doit au plus tôt se tourner vers Lui ".

Quant aux " distractions et tentations, au lieu de les combattre directement (ce qui ne ferait que les augmenter et tirer l'âme de son adhérence à Dieu, qui doit faire toute son occupation), on doit en détourner simplement sa vue et s'approcher de plus en plus de Dieu ; comme un petit enfant qui voyant un monstre ne s'amuse pas à le combattre, ni même à le regarder, mais s'enfonce doucement dans le sein de sa mère, où il se trouve en assurance ".

Cette forme d'oraison doit être considérée comme un " sacrifice " au grand sens du terme, l'âme " se laisse détruire et anéantir pour rendre hommage à la Souveraineté de Dieu, comme il est écrit : Il n'y a que Dieu seul de grand… Et la destruction de notre être confesse le souverain Être de Dieu. Il faut cesser d'être, afin que l'Esprit du Verbe soit en nous. Or, afin qu'il vienne, il faut lui céder notre vie et mourir à nous afin qu'il vive lui-même en nous. […] Il faut que nous cédions notre être à celui de Jésus Christ et que nous cessions de vivre afin qu'il vive en nous ".

Prier ainsi " c'est adorer le Père en esprit et en vérité ". En effet, " il n'y a que deux vérités, le TOUT et le RIEN. Tout le reste est mensonge. […] Nous ne pouvons honorer le Tout de Dieu que par notre anéantissement : et nous ne sommes pas plus tôt anéantis que Dieu, qui ne souffre point de vide sans le remplir, nous remplit de lui-même ".

Serait-on tenté de penser qu'une telle oraison est oisiveté ? Loin de là ! " Ce n'est pas silence infructueux causé par la disette, mais un silence plein et onctueux causé par l'abondance. […] Un petit enfant attaché à la mamelle de sa nourrice nous le montre sensiblement. Il commence à remuer ses petites lèvres pour faire venir le lait ; mais lorsque le lait vient avec abondance, il se contente de l'avaler sans faire nul mouvement ; s'il en faisait, il se nuirait et ferait répandre le lait, et il serait obligé de quitter.

Il faut de même au commencement de l'Oraison remuer d'abord les lèvres de l'affection ; mais lorsque le lait de la grâce coule, il n'y a rien à faire qu'à demeurer en repos, avalant doucement ; et lorsque le lait cesse de venir, remuer un peu d'affection comme l'enfant fait de la lèvre. Qui ferait autrement ne pourrait profiter de ces grâces qui se donnent ici pour attirer au repos de l'amour et non pour exciter aux mouvements de la propre multiplicité. […] Qu'arrive-t-il, dis-je, à cet enfant ? C'est qu'il s'endort sur le sein de sa mère : cette âme paisible à l'Oraison s'endort souvent du sommeil mystique où toutes les puissances se taisent ".

 

Moyen court page 5